« Je parle français mais je danse en espagnol »

Posté le par le français dans le monde

Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre revue a décidé de mettre chaque jour en ligne, depuis le 20 mars – journée de célébration de la francophonie – et tous les jours à midi, un article du « Français dans le monde » en libre accès. Aujourd’hui, la VIE DE PROF voyageuse de María Luisa Torrejón Peláez à retrouver dans le numéro 409 de janvier-février 2017. Bonne lecture (et bon courage) à toutes et tous !

 

Si elle est née au Pérou et qu’elle vit désormais en Belgique, María Luisa Torrejón Peláez a appris le français en Afrique francophone et a enseigné dans une demi-douzaine de pays latino-américains. Visite de la planète FLE avec une guide débordante d’enthousiasme.

J’enseigne depuis 2 ans le français à la Maison de l’Amérique latine à Bruxelles. Avant ce poste, j’ai dû travailler pendant 6 ans en Belgique en tant que volontaire pour des associations à cause de la non-reconnaissance de ma maîtrise de français langue étrangère de l’université de Grenoble 3. La reconnaissance de mon diplôme a été un vrai périple, presque aussi long que tout mon parcours auparavant ! Enseigner la langue française n’est pas une profession, c’est un apostolat.
Pour enseigner, il faut aimer – et j’aime la langue française. Mon histoire avec elle a commencé par une autre histoire d’amour qui se poursuit toujours, celle avec mon mari. Je suis née à San Juan de la Frontera de los Chachapoyas, au Pérou, et j’ai rencontré celui qui deviendra mon mari, Pierre, à Cajamarca. Il était fonctionnaire belge, je l’ai ensuite suivi dans les différents endroits où il a été amené à travailler.

Débuts africains
Après notre rencontre au Pérou, direction le continent africain : nous partons vivre au Burundi, à Bujumbura, où nous nous sommes mariés. Puis nous habitons à Kinshasa, en République du Congo. En tout, j’ai passé 7 ans en Afrique francophone alors que je ne parlais pas un mot de français en y arrivant ! Puis mon mari est muté au Honduras. Mes enfants sont alors allés au lycée français de Tegucigalpa. L’un de leurs professeurs m’avertit qu’une licence de FLE vient d’ouvrir à l’université. Je recommence donc des études, et je suis la toute première étudiante licenciée en FLE de l’Université nationale du Honduras ! Et là je tombe en amour, comme on dit en Wallonie, avec le français langue étrangère. J’ai ensuite commencé à travailler avec l’Alliance française et à l’université, où venaient des étudiants de toutes les filières.

María Luisa (troisième en partant de la droite) avec ses collègues guatémaltèques, en 2002.

Au département de français, nous faisions un travail de Don Quichotte : la langue anglaise est en effet toute proche, au Honduras… Mais par la grâce d’une réelle volonté politique, il y a eu une vraie ouverture et le français est passé deuxième langue à l’éducation nationale !

La magie du FLE !
En tout, je suis resté 18 ans en Amérique centrale… Pendant 4 ans, j’ai enseigné le français à l’école américaine au Salvador, où l’on est passé en un an de 8 étudiants au départ à 180, grâce à un partenariat avec l’Alliance française qui avait des manuels écrits en partie en français. Il faut dire qu’une bonne partie de l’élite salvadorienne était francophile et francophone à l’époque. Mais à l’université, le français était dans le département des arts, avec la peinture par exemple ! Pendant que j’étais là-bas, le français a toute- fois gagné un vrai statut par rapport à l’espagnol.

María Luisa (en haut, deuxième en partant de la gauche) en stage à Besançon, en 2001.

Ensuite, l’amour – toujours lui – me fait voyager jusqu’au Guatemala, où j’ai travaillé à Ciudad de Guatemala. C’est là également que j’ai préparé ma maîtrise de FLE, par correspondance, avec Grenoble 3. Je deviens alors une véritable militante du FLE ! Je vais à tous les congrès dans les pays de la région. Non seulement nous avions l’espagnol en partage, mais aussi le français : nous étions doublement riches ! En aimant la langue française, j’en aime d’autant plus ma langue natale. C’est en prenant du recul par rapport à la montagne qu’on la voit le mieux… Je me suis ainsi rendue compte que je parle en français mais que je danse en espagnol !
Après 5 ans passés au Guatemala, nous sommes partis au Nicaragua, à Managua, où j’ai enseigné à l’Alliance française pendant 3 ans. Quand je suis arrivée là-bas, je connaissais déjà tous les profs, qui m’ont très facilement accueillis, et en français s’il vous plaît ! C’est la magie du FLE ! Ensuite, je suis partie vivre en Belgique, car mon mari a retrouvé son poste dans l’administration belge. Je commence même à apprendre le flamand… Mais après un mois de cour, mon mari me dit de me mettre au guarani : nous allons à Asunción, au Paraguay ! Asunción, où je de- viens professeure volontaire et coordinatrice à l’Alliance française. J’ai notamment eu l’occasion de créer une formation à l’Alliance, afin que les profs deviennent correcteurs du DELF/DALF. Puis je reviens en Belgique, cette fois-ci pour de bon.

María Luisa en cours à la Maison de l’Amérique latine de Bruxelles.

Des cours pour les réfugiés
En ce moment, la Maison de l’Amérique latine de Bruxelles accueille des apprenants adultes, des ressortissants latino-américains et d’autres origines, notamment des filles au pair américaines et des Chinois. Actuellement, nous recevons aussi beaucoup de demandes de la part d’associations pour des réfugiés venus de Syrie ou de cette région. La Maison de l’Amérique latine donne des cours gratuits pour les primo-arrrivants en situation légale dans le cadre d’un projet financé par l’Union européenne. Nous avons également un financement de la communauté francophone bruxelloise. Lorsque je suis arrivée, j’étais la seule professeure de français, maintenant nous sommes quatre : le français est devenue l’autre langue de la Maison de l’Amérique latine !

Je donne 4 heures de cours le soir, de 18 h 30 à 22 h 30, pour que les gens qui travaillent puissent venir. J’adore ce poste : les étrangers peuvent connaître une nouvelle langue et une nouvelle culture, cela va améliorer leur situation, notamment en les sortant du travail illégal. Grâce à nos cours, ils connaissent mieux leurs droits et leurs obligations. Nous essayons également de sortir avec les apprenants, au musée par exemple. Certains ont des licences en droit ou en communication et doivent faire le ménage pour vivre : c’est du gâchis ! De mon côté, je dois pratiquer le yoga afin d’avoir l’énergie nécessaire pour faire toutes ces activités. Car enseigner le français, c’est mon engagement, ma pensée humaniste de fraternité et de liberté. Quelque chose que j’essaye aussi de trans- mettre à travers une autre passion, la poésie, que j’écris dans ma langue maternelle mais à laquelle je m’essaye aussi un peu en français, comme vous pouvez le lire dans ce petit poème extrait de mon recueil, Poemas del Camino.

POEMAS DEL CAMINO

Une robe rose à petites fleurs
Manches en baluchons… et à la ceinture
Porte un ruban… Entre ses plis les fleurs se mêlent.
Elle est souple, tourne, vole
Comme un papillon,
Elle danse et danse
Sur la place du 14 juillet.C’est elle !! Elle et son parfum de fleur.

Extrait de Poemas del camino, recueil de poèmes de María Luisa Torrejón Peláez.

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