« Impliquer les enfants des pieds à la tête »

Posté le par le français dans le monde

Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre revue a décidé de mettre chaque jour en ligne, depuis le 20 mars – journée de célébration de la francophonie – et tous les jours à midi, un article du « Français dans le monde » en libre accès. Aujourd’hui, l’ouverture du DOSSIER du numéro 420 de novembre-décembre 2018, consacré à « Enseigner le français aux enfants ». Un entretien avec Hélène Vanthier, que l’on retrouve dans le tout nouveau Minimooc de CLE International consacré au même thème. Bonne lecture à toutes et tous !

Directrice adjointe du CLA de Besançon, Hélène Vanthier est auteure aux éditions CLE International de L’enseignement aux enfants en classe de langue et de la méthode Zig Zag.

Spécialiste de l’enseignement des langues étrangères aux enfants, Hélène Vanthier revient sur les grandes caractéristiques de cet acte pédagogique bien particulier.

Une bonne connaissance des enfants est-elle indispensable pour leur enseigner le français ?
Une des spécificités de ce public d’apprenants tient au fait que les enfants sont en cours de développement dans tous les domaines, aussi bien psychomoteur que cognitif, socio-affectif que langagier. Si l’on admet qu’enseigner, c’est réunir les conditions pour que les enfants apprennent, l’enseignant devra alors prendre en considération lors de la conception et de la mise en œuvre de son enseignement les besoins spécifiques et les centres d’intérêt de ce jeune public d’apprenants, ses capacités diverses ainsi que les processus susceptibles d’être mis en œuvre à un âge donné. Au CLA, dans nos formations de formateurs à l’enseignement aux enfants, nous rencontrons souvent deux types d’enseignants : d’une part les enseignants spécialistes de FLE qui éprouvent le besoin de mieux connaître les enfants et la façon dont ils apprennent, d’autre part les enseignants de primaire ou de l’enseignement dit préscolaire qui, eux, s’interrogent sur la façon d’enseigner une langue étrangère à leurs jeunes élèves.

Quelles sont les grandes particularités de cet enseignement à ce public spécifique ?
Les principes généraux de la méthodologie du FLE sont bien sûr à prendre en compte, mais les démarches sont à adapter aux spécificités du jeune public afin de lui permettre une réelle ouverture sur le monde des langues et des cultures. L’idée de centration sur l’apprenant prend ici tout son sens. L’enfant n’est pas un apprenant exclusivement cognitif, il réagit avec l’ensemble de sa personnalité, de ses perceptions et de ses émotions. On devra donc le considérer dans sa globalité et lui proposer des situations dans lesquelles il vivra le français « des pieds à la tête », à partir d’activités où ses perceptions sensorielles et son affectivité seront mises en jeu. Le corps de l’enfant aura toute sa place dans la classe de langue. Toute une gamme d’activités sensorimotrices (percevoir avec ses sens, agir avec son corps) fournira un contexte où les apprentissages langagiers s’articuleront aux apprentissages expérientiels à travers des activités diversifiées qui sauront garder l’attention des enfants. Par ailleurs, quiconque travaille avec des enfants sait bien qu’ils n’apprennent pas tous de la même façon. Certains ont plutôt une intelligence visuelle alors que d’autres ont une intelligence auditive ou logico-mathématique… Solliciter ces intelligences multiples aura pour effet non seulement de diversifier son enseignement, mais aussi de proposer des tâches attrayantes, ludiques et concrètes permettant de motiver les jeunes apprenants et de les mettre tous en situation de réussite.

L’entrée dans l’écrit pose- t-elle des questionnements particuliers ?
On considère généralement qu’un apprenant mobilise des compétences de lecteur-scripteur acquises en langue 1 pour lire et écrire en langue étrangère. Dans le contexte spécifique de l’enseignement aux enfants, cette transposition supposée est loin d’être évidente puisque nous avons affaire à des jeunes apprenants qui pour certains sont encore non-lecteurs et qui, pour d’autres, sont apprentis lecteurs en langue 1. Leurs habiletés sont au mieux en cours de développement et progressent en fonction de leur âge et de leur niveau scolaire. Comme un enfant ne peut pas spontanément détecter les ressemblances et les différences qui régissent l’écrit dans la langue où il apprend initialement à lire et à écrire et dans la langue étrangère, les démarches d’enseignement-apprentissage devront permettre une prise de conscience du fonctionne- ment de l’écrit en français en suscitant, dans le cadre d’une approche contrastive, une mise en relation avec les habiletés qui sont en cours d’acquisition en langue 1. Un principe majeur sera à prendre en considération : l’oral sera toujours premier et l’entrée dans l’écrit en FLE se fera à partir d’éléments langagiers que les enfants seront capables de comprendre et de dire à l’oral. Le développement de bonnes compétences phonologiques, avec un accent mis sur l’identification des rythmes, des rimes ou des sons, sera un prérequis incontournable à l’entrée dans l’écrit en langue étrangère

La question de l’évaluation peut apparaître comme délicate pour ce public…
Délicate, non, pas réellement, puisque pour que les enfants soient motivés, il faut qu’ils aient le senti- ment de progresser dans leurs apprentissages de la langue. Évaluer ce qui est acquis, en voie de l’être ou pas encore maîtrisé paraît être la seule manière de mettre en place un enseignement efficace, c’est-à-dire dans lequel on part de connaissances stabilisées pour aller vers ce qui est nouveau. Pour cela plusieurs formes d’évaluation sont possibles : tout d’abord, une évaluation qui fournit une photographie du niveau des compétences de l’élève en testant à un moment pré- cis ses habiletés de compréhension et production orales et écrites. C’est le cas de tout test et notamment de l’examen du DELF Prim. Ensuite, une évaluation qui permet à l’enseignant de contrôler de façon continue les progrès ou difficultés des enfants lors des activités de classe et donc de réajuster son enseignement aux besoins identifiés. Enfin, une évaluation qui est davantage formatrice et invite les enfants, dans un climat bienveillant, à s’interroger sur ce qu’ils ont appris et, le cas échéant, sur ce qu’il faudrait approfondir pour s’améliorer. À travers ce type d’activité « méta », il s’agit d’amener les enfants à réfléchir sur leurs propres apprentissages en les incitant à devenir en quelque sorte co-acteurs de leur classe de français. Un mini-portfolio de compétences renseigné de façon collective ou individuelle permet de faire le point sur les compétences acquises tout en constituant un lien pédagogique entre la classe de français et la famille de l’enfant.

Les parents sont l’une des composantes importantes de l’enseignement aux enfants ?
Ce sont les parents qui font le choix de l’apprentissage du français pour leurs enfants ! Certains parents ont du reste parfois tendance à penser que les enfants sont comme des éponges et qu’il suffirait qu’ils soient en contact avec le français, ne serait-ce que deux heures par semaine, pour être très vite en capacité de comprendre et parler spontané- ment la langue. Il arrive aussi que des parents aient une représentation très traditionnelle de ce que doit être l’apprentissage d’une langue et, de ce fait, remettent quelque peu en cause les compétences des professeurs… Afin de modifier ces représentations pouvant parasiter la relation, je préconise souvent aux professeurs de réunir les parents en début de session pour échanger sur ce que leurs enfants vont apprendre (les objectifs) et sur la façon dont ils vont l’apprendre (la méthodologie). Ils comprennent alors que ceux-ci ne deviendront pas bilingues en quelques mois et que ce n’est pas en recopiant des listes de vocabulaire qu’ils apprendront à communiquer. Ils comprennent aussi que leurs enfants apprendront « autrement », à travers des jeux, des chansons, des manipulations, la réalisation de pro- jets concrets et que la notion de plaisir partagé sera déterminante pour leur motivation à apprendre et pour la qualité de leurs apprentissages.

La multiplicité des activités nécessite un énorme travail de la part des enseignants…
Enseigner à des enfants demande en effet un gros travail de préparation pédagogique et matérielle. Lorsque j’ai conçu la méthode Zig Zag, je n’ai eu de cesse de penser aux exigences de la classe de langue pour enfants, au besoin de supports diversifiés qu’elle induit et à l’aide à apporter aux enseignants pour faciliter et alléger leurs préparations. Mon souhait a été de mettre à dis- position une véritable boîte à outils de supports et d’activités pour que l’enseignant puisse répondre aux besoins d’action et de différenciation de sa classe, tout en évoluant dans le cadre d’une progression rigoureuse. Il s’agit en effet non seulement de donner aux enfants l’en- vie d’apprendre et d’agir, ce qui est fondamental, mais il faut aussi leur permettre de développer les moyens qui les conduiront à le faire. Ma préoccupation constante est de créer un univers riche, diversifié et attrayant, proche des centres d’intérêt des enfants, tout en le structurant à travers des activités dynamiques où les enfants développent, étape par étape, les outils cognitifs et langagiers dont ils ont besoin pour apprendre. En classe, ce n’est pas la langue qui les intéresse prioritairement, mais les activités motivantes que leurs enseignants leur proposent. Le point de départ est donc toujours une situation/activité qui va impliquer l’enfant et sur laquelle viendront se greffer les apprentissages langagiers. Répondre à cette exigence nécessite effectivement le développe- ment de nombreux supports, outils et démarches qui font de la classe de langue un véritable lieu de vie, de découvertes et de partages.

Propos recueillis par Sébastien Langevin

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