En mode création francophone !

Posté le par le français dans le monde

Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre revue a décidé de mettre chaque jour en ligne, depuis le 20 mars – journée de célébration de la francophonie – et tous les jours à midi, un article du « Français dans le monde » en libre accès. Aujourd’hui, l’article FRANÇAIS PROFESSIONNEL de Florence Mourlhon-Dallies, à retrouver dans le numéro 421 de janvier-février 2019. Bonne lecture (et bon courage) à toutes et tous !

 

Grâce à l’action coordonnée de l’Organisation internationale de la Francophonie et de l’Association sénégalaise des professeurs de français, a été mis au point un ambitieux programme de communication en français qui met en avant le créateur francophone.

 

Le français de la mode est un domaine de spécialité qui prête généralement à des formations de longue haleine, que ce soit pour préparer le Diplôme de français professionnel « Mode » de niveau A2 de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris ou pour intégrer les cursus d’écoles supérieures de stylisme.

Mais ce qui nous intéresse aujourd’hui est l’émergence de formations courtes ciblant des professionnels reconnus dans le domaine et co-construites avec des partenaires étrangers. C’est toute l’originalité du programme imaginé par la Direction langue française, culture et diversités (DLFCD) de l’Organisation internationale de la Francophonie avec l’appui de l’Association sénégalaise des professeurs de français (ASPF).

Il s’agit en effet par cette action d’aider des stylistes et des couturiers à mieux déployer leur talent en français, d’où l’intitulé : « Le créateur francophone africain : une formation pour communiquer en français et s’ouvrir à l’international », avec à la coordination Véronique Girard côté OIF, et Cheik Tidiane Kane côté ASPF. Des experts métiers sont également partie prenante comme Yaye Marie Mboji, professeure à l’Institut de coupe, couture et mode (ICCM) de Dakar, mais aussi une styliste sénégalaise réputée : Thiané Diagne.

 

Montage du projet

Un des principaux acteurs du projet : Cheik Tidiane Kane.

C’est en mars 2017 que la DLFCD prend contact avec l’ASPF pour monter un programme de formation de professionnels de la mode afin de permettre à des créateurs, sénégalais dans un premier temps puis répartis dans toute l’Afrique francophone, d’améliorer leur communication professionnelle au moyen du français. Les intéressés doivent en retirer un double bénéfice : mieux promouvoir leurs créations d’une part, mais surtout acquérir des compétences de communication très fortement ancrées dans le numérique, transposables à toutes sortes de situations.

Le programme préfiguré est relativement bref : 48 heures réparties en 6 modules, sachant que les créateurs sont très occupés. Une première mouture est réalisée rapidement par sept professeurs de français sénégalais : quelques mois plus tard, elle est expérimentée avec un groupe de vingt créateurs à Dakar.

En mars 2018, un premier bilan du projet est réalisé sur place entre les concepteurs et les enseignants qui ont délivré la formation, avec l’appui de Jérôme-Alexandre Minski, expert en ingénierie de la formation. Cette session aboutit en juillet à une version stabilisée. Après une dernière relecture cet automne au siège de l’OIF à Paris, l’ensemble sera prochainement remis en circulation pour de nouvelles formations de terrain.

À l’horizon 2019, après quelques remaniements, il est prévu de proposer la formation dans cinq régions du Sénégal, puis en 2020, d’intégrer d’autres métiers de la mode (en particulier ceux concernant la production d’accessoires). Est également envisagée une version en ligne, qui permettrait de toucher un public éparpillé dans toute l’Afrique francophone.

 

Le français, moteur de développement professionnel

Photographie du groupe de créateurs formés à Dakar.

Que la formation se déroule en face à face ou à distance, chaque module est centré sur la maîtrise de compétences de communication indispensables à la réussite des créateurs : se présenter aux médias via une capsule vidéo ou lors d’un entretien télévisé ; créer un dépliant pour annoncer un défilé ; rechercher des financeurs et des partenaires internationaux en rédigeant des lettres de demande de soutien ; élaborer des diaporamas de présentation de son atelier et de ses œuvres pour séduire des sponsors.

Ces productions intéressent directement les professionnels. À la sortie des séances, ces derniers peuvent en effet réutiliser immédiatement la page blog ou l’auto-présentation vidéo réalisée durant la séance de français professionnel. La formation respecte pleinement leur identité sociale. Aucune des tâches à réaliser en français ne peut être tenue pour gratuite ou artificielle : une véritable démarche actionnelle est ici mise en mouvement.

La formation est en outre l’occasion de rencontres et de partage d’expérience : on y compare les styles, les avancées dans la commercialisation, certains ouvrant leur première boutique alors que d’autres exportent déjà au Canada. L’échange est d’autant plus fructueux que le groupe est hétérogène : il met en effet en contact des titulaires du brevet de technicien supérieur de stylisme modélisme, des créateurs de mode avec le brevet technique spécialité habillement, des couturiers autodidactes de talent. À quoi s’ajoute un petit nombre d’étudiants ayant une licence ou un master en économie et qui se destinent au management de la mode.

 

Un modèle transposable

Ce type d’opération n’est certes possible que parce que les personnes formées sont déjà de bons francophones, un niveau B1 à l’écrit étant requis tout en sachant que l’oral est nettement au-dessus. Les points de langue sont rapidement menés, on entre dans les tâches à partir de documents authentiques prélevés dans l’environnement professionnel proche, sans avoir besoin de conduire de longues mises au point sur le lexique ou la grammaire.

Tout en étant conscient des avantages procurés par ce contexte francophone, on pourrait cependant retenir quelques éléments clés de ce programme pour d’autres publics dans le monde. Un point remarquable, et transposable à de nombreux métiers, réside dans le fait que chaque étape de promotion du créateur est l’occasion de développer un savoir-faire numérique.

Chacune des unités approfondit un mode de communication récemment apparu (pages personnelles dans les réseaux sociaux, vidéos, fichier PowerPoint) souvent découvert à l’occasion de la formation par une partie des participants. Une seconde particularité tient au caractère chronologique de la progression suivie : le créateur se présente, puis verbalise sa source d’inspiration et les particularités de ses créations. Ensuite, il monte un défilé, remercie un peu plus tard ses soutiens, dresse enfin un bilan financier de l’évènement. Ce mode de progression retient l’attention : il est particulièrement adapté aux métiers qui fonctionnent par prestations, événements ou à la demande. Il correspondrait notamment à de nombreux métiers du spectacle, qui impliquent des programmations bien cadrées dans le temps.

Où l’on voit qu’un programme pensé pour les créateurs et les stylistes d’Afrique francophone pourrait faire des émules dans d’autres secteurs et d’autres endroits du monde, dès lors que l’on veut faire rimer travail du français et professionnalisation.

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Florence Mourlhon-Dallies est professeure en Sciences du langage à l’Université  de Paris, membre du laboratoire EDA (Éducation, Discours, Apprentissages) et directrice formation et valorisation du GRIP.

 

 

 

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