Quelle didactique pour la littérature de jeunesse ?

Posté le par le français dans le monde

La littérature de jeunesse contemporaine de langue française a récemment été à l’honneur avec l’attribution du prix Andersen, en mars dernier, à Marie- Aude Murail (1), la célèbre autrice de Oh, boy !. Une occasion d’introduire cette littérature en classe de langue. Pourquoi et comment ? Mode d’emploi.

La littérature de jeunesse contemporaine n’est pas nécessairement bien connue des enseignants de FLE, ni présente dans les classes de FLE à l’étranger, et ce, même si les enseignants sont souvent familiers des classiques du genre qu’ils continuent parfois à transmettre. Nous voulons donc présenter les caractéristiques de la littérature de jeunesse française contemporaine, et envisager les questions qu’il convient de se poser lorsqu’on souhaite l’introduire dans l’enseignement-apprentissage du français comme langue étrangère.

Pourquoi s’intéresser à la littérature de jeunesse en FLE ?

Décrire la littérature de jeunesse contemporaine française et francophone n’est pas chose évidente. Les formes et formats existants sont multiples et les hybridations nombreuses. Les genres les plus aisément reconnaissables sont sans doute l’album, souvent destiné aux jeunes lecteurs, et le roman, généralement dédié à un lectorat plus âgé. Mais on trouve aussi des récits illustrés, des albums pour adolescents, des albums-poèmes et des poèmes albums (C. Boutevin, Livres de poème(s) et poème(s) en livres pour la jeunesse aujourd’hui, Presses universitaires de Bordeaux, 2018.), des romans pour jeunes adultes, des albums qui s’apparentent au livre d’art…

S’intéresser à la littérature contemporaine pour la jeunesse, c’est accéder à un domaine extrêmement riche, créatif et surprenant

Cependant, comme le dit Bertrand Ferrier, « tout n’est pas littérature » au sein de la production pléthorique de livres pour la jeunesse. Des couleurs et une présentation attrayante ne suffisent pas pour qu’un livre appartienne pleinement à la littérature de ou pour la jeunesse. Sans donner une définition complexe, disons qu’une des caractéristiques essentielles de cette dernière est sa capacité, comme toute forme de littérature, à offrir plusieurs interprétations, plusieurs sens possibles, ce qui, en classe de FLE, ouvre des perspectives de discussion. On y trouve également la présence de traits de littérarité ou plus exactement de « procédés de type littéraire » (Ferrier toujours) comme la présence de références. On pense aussi ici à l’originalité, à l’inventivité et à un souci du lecteur.

S’intéresser à la littérature contemporaine pour la jeunesse, c’est accéder à un domaine extrêmement riche, créatif et surprenant. Les auteurs actuels n’hésitent pas à aborder des faits de société (les addictions), des questions en débat (la fin de vie), des évolutions de société (la place de la femme ou des minorités), non sans controverse parfois. Sans compter le lien à un patrimoine plus large, comme les arts, d’hier ou d’aujourd’hui, incluant ainsi des références à des ressources patrimoniales telles que les contes (Le Petit Chaperon rouge ou autre) ou l’imagerie traditionnelle (images d’Épinal par exemple).

Ajoutons que les oeuvres de ce domaine sont reliées à la littérature générale, avec laquelle la littérature jeunesse entretient des liens étroits : certains auteurs oeuvrent dans les deux champs (Florence Seyvos par exemple), d’autres réécrivent un ouvrage pour adulte pour le publier dans une collection de jeunesse (Andrée Chédid), d’autres enfin, écrivant pour les adultes, puisent dans la littérature de jeunesse des idées, des formes, des techniques novatrices…

S’intéresser à la littérature de jeunesse, c’est aussi accéder à des ouvrages de format différents, à des formes courtes (comme le récit bref illustré) à des formes originales, comme l’album sans texte. C’est enfin l’opportunité de découvrir des ouvrages qu’on ne trouve que dans ce champ et de s’ouvrir à des éditeurs audacieux (comme les Éditions du Rouergue ou l’Atelier du poisson soluble).
Dans une perspective d’enseignement à l’étranger, ce domaine offre l’occasion de promouvoir des approches interculturelles et/ou multilingues, où l’on peut comparer des ouvrages français avec ceux du pays d’enseignement ou d’origine des élèves (voir aussi l’article Pratiques de classe, p. 62-63).

Problématiques propres à la classe de FLE

Si la littérature de jeunesse contemporaine est présente depuis longtemps dans les écoles et collèges français, et si les enseignants de ces établissements y sont formés, il n’en va pas de même pour les professeurs de FLE. Se familiariser avec cette littérature, lire des ouvrages pratiques ou de référence, découvrir quelques albums, constitue une première étape cruciale pour réfléchir à son inclusion dans la classe. La seconde étape consiste à élaborer des approches spécifiques qui tiennent compte des compétences souvent restreintes des élèves en langue cible et du nombre limité d’heures de contact hebdomadaire entre enseignants et apprenants.

Des questions cruciales se posent également : à quels publics offrir la lecture de ces ouvrages ? Faut-il les réserver à un lectorat dont l’âge correspond à celui indiqué par l’éditeur ? Quelle place réserver à ces approches dans un continuum de plusieurs années d’apprentissage de la langue cible ? Comment intégrer extraits ou oeuvres intégrales alors que l’essentiel de l’enseignement en FLE repose souvent sur un manuel conçu pour un apprentissage graduel de la langue avec une progression préétablie ? Comment didactiser l’image et l’intérêt que présente sa juxtaposition avec le texte, ou les jeux texte-image qui peuvent exister ?

Par ailleurs, l’intégration de tout support jeunesse dépend aussi de la flexibilité et des contraintes de l’enseignant de FLE, du temps alloué à ces démarches à l’évaluation. Dans une perspective d’enseignement- apprentissage d’une langue étrangère, il importe non seulement d’introduire de nouveaux faits langagiers et grammaticaux, mais aussi de rebrasser, réitérer, renforcer les acquis, dans des domaines aussi variés que le linguistique (sans oublier la prononciation), le culturel ou le littéraire. C’est avec ces contraintes à l’esprit que l’enseignant sélectionnera les oeuvres puis abordera leur didactisation.

Didactiser tout support authentique nécessite de s’arrêter un instant sur l’environnement de l’oeuvre retenue : son contexte de production, son auteur, sa réception, les éventuelles didactisations existantes. Les travaux accessibles sur Internet et mis en ligne par des enseignants exerçant en France peuvent offrir des pistes pertinentes qu’on peut modifier, adapter.

Les recherches menées en didactique de la littérature concernant « le texte du lecteur » peuvent aussi faire l’objet d’adaptations pour le FLE. En laissant une place cruciale au lecteur, à son ressenti, aux modalités propres à sa lecture et à ses représentations, en faisant de l’espace de la classe un lieu où les lectures se rencontrent et où se dessine le sens, elles favorisent l’expression orale ou/et écrite. Parmi les dispositifs mis en valeur dans le cadre de ces recherches on citera : les cercles de lecture, les carnets de lecteurs, les écritures numériques, les écritures multilingues ou multimodales (lorsque l’élève peut apposer images, dessins ou photographies).

Ne jamais perdre de vue la notion de plaisir et faire une place à la langue commune des élèves pour favoriser l’expression spontanée et l’émergence naturelle des réseaux de sens

On peut évidemment inviter ses apprenants à une lecture libre, sans véritable dispositif didactique. On pourra sinon axer la démarche sur un auteur en particulier, pour faire découvrir un univers, un style ou bien sûr une thématique (l’écologie, l’amour…), ce qui permet alors d’observer différents angles d’approche retenus par des auteurs contemporains. Si plusieurs types d’approches sont possibles (et restent encore à élaborer), il me semble essentiel de ne pas vouloir tout faire à partir d’un ouvrage et surtout de ne pas perdre de vue la notion de plaisir. Faire une place à la langue commune aux élèves dans la classe (l’allemand en Allemagne) peut permettre l’expression spontanée et l’émergence naturelle des réseaux de sens.

Comme pour toute démarche pédagogique, l’étape initiale de didactisation se focalisera sur le repérage d’entraves, non seulement linguistiques ou culturelles mais littéraires ou en lecture d’images. Autre point d’attention : l’élaboration de ressources et d’outils facilitant la compréhension et l’expression, et permettant aux élèves de se sentir en confiance et suffisant armés pour s’exprimer. Autant de démarches possibles et qui restent à découvrir pour le plus grand plaisir des apprenants et des enseignants de FLE.

Christèle Maizonniaux est maîtresse de conférences en français langue étrangère à l’Université Flinders d’Adélaïde (Australie). Elle est l’autrice de La littérature de jeunesse en classe de langue. Pour une pédagogie de la créativité (UGA éditions, 2020).

Bibliographie

  • Boulaire, C. (2018) : Lire et choisir ses albums, petit manuel à l’usage des grandes
    personnes, Paris, Didier jeunesse.
  • Ferrier, B. (2006). « Mais tout n’est pas littérature ! » Le concept de littérarité appliqué
    aux romans contemporains pour la jeunesse (1995-2005). Paris IV – Sorbonne,
    École doctorale de littératures françaises et comparée.
  • Van der Linden, S. (2006) : Lire l’album, Paris, L’atelier du poisson soluble.
  • Van der Linden, S. (2021) : Tout sur la littérature jeunesse : De la petite enfance aux
    jeunes adultes, Paris, Gallimard jeunesse.
  • Cartellier, E., Monluçon A.-M., Ramero, C. et Rinck, F. (2022) : Cinq auteurs jeunesse
    à faire absolument découvrir aux enfants. https://theconversation.com/cinq-auteurs-de-jeunesse-a-faire-absolument-decouvrir-aux-enfants-185235
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