Maryam Madjidi : à double titre

Posté le par le français dans le monde

Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre revue a décidé de mettre chaque jour en ligne, depuis le 20 mars – journée de célébration de la francophonie – et tous les jours à midi, un article du « Français dans le monde » en libre accès. Aujourd’hui, le portrait de l’écrivaine Maryam Madjidi réalisée par notre chroniqueuse Sophie Patois, à retrouver dans le numéro 428 de mars-avril 2020. Bonne lecture (et bon courage) à toutes et tous !

 

Enseignante de FLE et écrivain, Maryam Madjidi cultive un entre-deux généreux. Née à Téhéran et arrivée en France à l’âge de six ans, elle a livré dans Marx et la poupée, premier roman grandement plébiscité, son expérience d’exilée. Rencontre avec une jeune femme qui mène sans complexe une double vie.

(c) Greg Augendre Cambon

Large sourire, poignée de mains ferme et franche, parole directe, Maryam Madjidi fait partie de cette catégorie de personnes à l’énergie communicative, voire contagieuse ! La rencontre est immédiate et de plain-pied, tout comme la lecture du récit autobiographique qui l’a fait connaître, Marx et la poupée, livre au titre à la fois intriguant et percutant, distingué par le prix Goncourt du premier roman et le prix Ouest-France Étonnants Voyageurs (2017). Elle y raconte dans un style qui fait mouche l’engagement politique de ses parents à Téhéran dans les années 1980 et son parcours d’exilée iranienne arrivée en France à l’âge de six ans.

Plus de deux ans après la publication de ce livre retentissant, Maryam Madjidi semble plus que jamais ancrée dans le monde. « Je ne peux pas dire le contraire, concède-t-elle aujourd’hui, ce serait totalement hypocrite. C’est un grand cadeau de la vie que le succès de ce premier roman ! Cela m’a donné confiance en moi, en mon écriture. Cela m’a permis de voir que ce que j’avais à dire avait touché beaucoup de personnes, et bien sûr cela m’encourage, me donne envie de continuer. »

 

La découverte du FLE

Continuer à écrire certes, mais à enseigner aussi ! Car cette Franco-Iranienne qui peut à présent revendiquer sans hésitation une double nationalité et une double culture, voue aussi une partie de sa vie à l’éducation. Elle enseigne le français à des mineurs isolés dans un centre situé à Taverny dans le Val-d’Oise. « C’est un lieu absolument magique, s’enthousiasme la jeune femme, un grand château situé en haut d’une colline, entouré d’une forêt, acheté en 2002 par la Croix Rouge pour ouvrir un des premiers centres d’hébergement pour mineurs non accompagnés. J’adore ce que je fais, je ne pourrais pas changer de boulot ! J’aime beaucoup le social. » Reconnaissante à l’équipe pédagogique avec qui elle travaille de lui accorder un emploi du temps adapté à sa double activité, Maryam raconte sans se faire prier sa vocation.

« La découverte du FLE a été quelque chose de très beau dans ma vie, souligne-t-elle. Je vivais à Paris, j’étais prof de français remplaçante dans des collèges et lycées. Mais je commençais un peu à tourner en rond… À l’été 2011, lors d’un voyage en Chine, j’ai eu un vrai déclic. Là-bas, je me sentais chez moi sans savoir pourquoi ! Sur un coup de tête, dans un acte très romantique d’affirmation absolue de ma liberté, j’ai décidé de ne pas prendre l’avion du retour ! Je suis restée quatre ans. »

Un coup de dés plus chanceux que hasardeux puisque à la suite de cette décision, elle s’inscrit par correspondance au diplôme de FLE de Paris III (Sorbonne Nouvelle) pour compléter sa formation initiale (master de Lettres modernes) et commence conjointement à donner des cours à l’Alliance française de Pékin. « Les planètes étaient alignées, puisque j’ai alors rencontré une amie qui m’est toujours très chère et qui m’a proposé une chambre à louer chez elle. Quant à mes étudiants ils étaient mes “cobayes” : je pouvais mettre en pratique avec eux toute la théorie de mes leçons par correspondance. Par exemple, pour un module sur l’analyse d’images, j’enregistrais leurs réactions (en leur demandant leur accord bien sûr !) et à partir des résultats, je réalisais un devoir. Mes profs étaient ravis et je n’avais pas l’impression d’étudier. C’était pratiquement une formation en alternance ! J’ai rempilé ensuite sur une année de Master car j’avais adoré cette formation. Cette façon d’appréhender, d’étudier le rapport à la langue française, comment on se l’approprie, cela faisait sens pour moi ! »

« Je n’ai aucune envie d’appartenir à une seule langue ou une seule culture. Cet entre-deux me plaît. D’aucun lieu et de tous les espaces à la fois, je suis libre ! Je peux avoir un regard critique sur l’Iran et sur la France car j’aime ces deux pays. »

 

Il était une fois… le conte est bon !

Et comme dans les contes de fées, semble-t-il, un bonheur n’arrive jamais seul… Maryam, qui confesse écrire poésies et journaux intimes depuis qu’elle sait lire, entame la rédaction de Marx et la poupée. « Mon histoire émergeait à travers cette formation et ce travail d’enseignante. Et ce n’est certainement pas un hasard, analyse-t-elle à présent, si j’ai commencé à écrire le roman à Pékin. » Une belle expérience qui lui permet d’exprimer pleinement son identité plurielle. « Je ne suis pas du tout dans la nostalgie, ni dans le désir de faire partie d’un seul et unique espace, insiste-t-elle. Je n’ai aucune envie d’appartenir à une seule langue ou une seule culture. Cet entre-deux me plaît. D’aucun lieu et de tous les espaces à la fois, je suis libre ! Je peux avoir un regard critique sur l’Iran et sur la France car j’aime ces deux pays. »

Femme de conviction et d’engagement, Maryam Madjidi apprécie également, au-delà des mots et des histoires, d’emporter l’adhésion, séduire, convaincre… « Je crois que j’ai choisi l’enseignement pour ça, la transmission orale… Un bon prof capte l’attention de ses élèves par la parole. La littérature aussi se transmet oralement, on commence par nous raconter des histoires. Comment peut-on oublier en grandissant le plaisir du texte parlé ? » C’est d’ailleurs par le « Il était une fois » du conte que démarre Marx et la poupée, pour raconter avec humour et tendresse le sort des déracinés qui ont dû un jour tout abandonner – donner sa poupée comme l’a fait la jeune Maryam ou, à l’image de ses parents communistes, enterrer Le Capital, ce qui explique ce titre intrigant au premier abord.

Humour donc, et autodérision comme en témoignent ces exemples de têtes de chapitre : « Comment peut-on être persane ? », « À la recherche de la langue perdue », « La lutte des langues », « Comment peut-on être français ? »… Ironie de l’histoire, alors que le livre a été traduit dans une quinzaine de langues, il n’a pas encore franchi les frontières de l’Iran. « Au départ, cela m’a blessée, avoue Maryam Madjidi. J’avais l’impression que ma langue maternelle me refusait, me rejetait. Mais cela est dû surtout aux conditions économiques et politiques actuelles. Cela se fera un jour, je le sens. » Un passage obligé aussi pour réconcilier les deux mondes et les deux langues qui l’habitent ? « Je parle persan mais je l’écris et le lis très mal. Le rapport que j’ai à cette langue, précise-t-elle, c’est le rapport que j’ai à ma famille, à mes parents, à l’Iran, c’est très intime et sous-terrain. Le persan, c’est ce qui me permet d’établir un lien entre moi et moi, alors que le français, c’est la langue de l’extérieur, de la communication, de l’écriture. »

Après une consécration manifeste qu’elle qualifie « comme tous les succès dans la vie, à double tranchant », et la publication récente de Je m’appelle Maryam, version pour enfants de son premier opus, l’écrivain travaille son numéro 2… « Puisqu’il est attendu, il y a plus de risque qu’il y ait déception. Alors, accompagnée de mon éditeur, je me dis autant y aller !  J’écris un roman qui retracera mes années adolescentes en banlieue parisienne, en me faisant plaisir, en m’éclatant ! »

 

 

Maryam Madjidi en 6 dates

1980 : Naissance à Téhéran (Iran)

1986 : Arrivée en France avec ses parents

2002- 2003 : Premier retour au pays natal. « Retrouve » et apprend sa langue maternelle, le persan.

2011 : Devient prof de français à Pékin

2017 : Premier roman, Marx et la poupée (éditions Nouvel Attila)

2019 : Je m’appelle Maryam, livre pour enfants (L’école des loisirs)

Aucun commentaire

Laisser un commentaire