« Le français est la langue dans laquelle je lis, je réfléchis et je rêve parfois »
Irina Melisch a la fidélité chevillée au cœur. Cette Roumaine de 48 ans vit et travaille à Suceava, sa ville natale, où elle enseigne le français dans un lycée depuis plus de deux décennies. Tombée amoureuse de la langue française au collège, séduite par sa musicalité et son univers littéraire, elle en a fait le fil directeur de sa vie.
Le français représente pour moi bien plus qu’une langue : c’est un engagement et un trésor que je chéris et que je m’efforce de transmettre aux autres, chaque jour. L’enseignement a toujours été une vocation, je me souviens que lorsque j’étais petite, j’adorais déjà créer des registres pour évaluer mes poupées ! J’ai eu un parcours scolaire classique jusqu’à la première année de collège, où a eu lieu la révélation : mon premier contact avec le français. J’ai immédiatement été captivée par cette langue, notamment par la merveilleuse musicalité de mots aussi simples que « bonjour », « merci » ou « au revoir ». Ma passion était née.
Au lycée, j’ai choisi de suivre un parcours bilingue, avec six heures de français par semaine. C’est à ce moment-là que je me suis plongée dans la lecture des écrivains français. J’y ai découvert un univers à part et fascinant. À travers les œuvres de Flaubert, de Balzac ou de Camus, j’ai pu appréhender non seulement la richesse de la langue française, mais aussi une nouvelle manière de saisir le monde. Ces lectures ont nourri ma passion pour le français et renforcé mon désir de l’enseigner, afin de partager avec mes élèves toute sa beauté et sa profondeur. Mon amour pour le français n’a jamais faibli, il s’est même développé au fil des années. Pour moi, cela a été un puissant moteur de changement. Plus j’avançais dans mon apprentissage, plus je réalisais à quel point le français m’ouvrait des portes. J’ai compris rapidement qu’apprendre une langue, c’est bien plus qu’acquérir du vocabulaire et des règles grammaticales. C’est accéder à de nouvelles façons de penser, à une autre culture et à des opportunités professionnelles inattendues.

Irina Melisch
Après quatre années d’études supérieures, j’ai commencé à enseigner dans un petit village, mais mes débuts n’ont été aussi passionnants que je me l’étais imaginé… Ce sont les élèves qui m’ont donné envie de continuer. En parallèle, j’ai poursuivi ma formation universitaire avec un master en Sémiotique du langage et un doctorat en Réécritures modernes du conte savant. Deux ans après avoir débuté en tant qu’enseignante, j’ai obtenu mon transfert au lycée de Suceava, ma ville natale, où j’enseigne depuis maintenant 21 ans.
Mon amour pour le français n’a jamais faibli, il s’est même développé au fil des années. Pour moi, cela a été un puissant moteur de changement.
L’omniprésence du français, à la ville comme en classe
Mon lien avec le français est ainsi strictement personnel et émotionnel. Mais pour moi, il ne s’agit pas seulement d’une langue que j’enseigne, d’un simple métier, c’est un véritable amour que j’essaie de transmettre à mes élèves. Bien plus qu’une matière, c’est un outil qui permet d’ouvrir les esprits, de structurer la pensée et de s’exprimer avec précision et élégance. Dans ma vie privée, le français est également omniprésent. C’ est la langue dans laquelle je lis, réfléchis et dans laquelle je rêve parfois. Il me relie à la littérature, à la culture et à une certaine vision du monde. À chaque fois que je visite l’Hexagone, je prends un plaisir fou à acheter un livre en français. Voyager en France est aussi une occasion de renforcer mon lien avec cette langue, de perfectionner mon oral et d’apprécier la diversité linguistique. Je peux échanger avec des locuteurs natifs, découvrir la culture et plonger dans le mode de vie français. Je suis fière de parler français lorsque je suis là-bas, cela me procure beaucoup de joie.
Aujourd’hui, j’ai 48 ans et le français occupe la même place dans ma vie, une place unique qui me rend souvent heureuse, mais parfois triste aussi. Je suis peinée lorsque j’ai face à moi des élèves indifférents. Malheureusement, les jeunes roumains vivent dans un monde où l’anglais domine dans les échanges internationaux et le marché du travail. Apprendre le français ne leur semble ni utile, ni émancipateur. Certains élèves pensent aussi que c’est une langue difficile, notamment à cause de sa grammaire et de sa prononciation. Pourtant, la maîtrise du français ouvre de nombreuses portes, il fait la différence n’importe où dans le monde.
Enseigner, c’est transmettre un savoir aux élèves, les accompagner et parfois changer leur parcours. Je suis fière d’avoir inspiré des anciens élèves, qui sont eux-mêmes devenus profs de français.
Faire renaître l’envie d’apprendre le français
Le français n’est pas seulement mon cœur de métier, à mes yeux c’est aussi un avantage dont je jouis par rapport aux non-francophones, un trésor dont j’ai à cœur de partager les richesses. Je la considère avant tout comme une langue de partage. Je suis ainsi impliquée dans des activités de bénévolat dans le cadre de l’Association franco-roumaine ASAP, dont je suis la Présidente depuis 2010. Je préside également le département de Suceava de l’Association roumaine des professeurs francophones (ARPF), qui déploie des activités de formation (voir encadré).
Mais mon quotidien, c’est ma salle de classe. Enseigner, c’est transmettre un savoir aux élèves, les accompagner et parfois changer leur parcours. Je suis fière d’avoir inspiré des anciens élèves, qui sont eux-mêmes devenus profs de français. La magie de l’enseignement, c’est que n’importe quel professeur laisse une trace, qui est parfois invisible mais contribue d’une certaine manière à façonner les destins.
En classe, je privilégie toujours l’approche interactive et communicative. Les élèves et l’apprentissage par l’expérience sont au cœur de ma méthode, et je priorise les mises en situation et les projets collaboratifs. L’oral reste un problème et un défi de taille pour tous les élèves roumains qui étudient le français. Beaucoup ne prennent pas la parole car ils ont peur de faire des erreurs, alors je valorise la communication avant la perfection grammaticale. La motivation est aussi un sujet clé : à cause de l’omniprésence de l’anglais, les élèves considèrent qu’ils n’ont plus besoin de savoir parler une autre langue étrangère. Pour faire renaître l’intérêt, j’essaie de les exposer à un français authentique : j’utilise des extraits de films, des articles, des chansons et des podcasts. J’opte pour des outils modernes, des vidéos et même des applis qui leur sont familières, afin de susciter de l’enthousiasme. Mon but est de leur faire découvrir le français dans des contextes réels et actuels, de créer un environnement bienveillant et motivant, pas de transmettre un savoir abstrait et dépourvu d’émotion. La manière d’enseigner doit être à l’image de la langue, vivante.
Le Printemps de l’Innovation du Français
La huitième édition du PIF (Printemps de l’Innovation du Français) s’est tenu les 4 et 5 avril derniers à l’Université de Suceava, en Roumanie, à l’initiative de l’ARPF (Association roumaine des professeurs francophones). Des ateliers en présentiel et des webinaires en ligne ont réuni une centaine de participants et une dizaine de formateurs étrangers, sous le thème des « nouvelles pratiques de classe ». Lancé par Irina Melisch en 2017, le PIF dépasse désormais les frontières de la Roumanie et permet à des enseignants francophones et à des experts internationaux d’échanger sur leur manière d’enseigner le FLE.

PIF – Printemps de l’innovation du français