Yasmine Belkaid

Portrait d’une scientifique remarquable : Yasmine Belkaid

Posté le par le français dans le monde

Après des années passées outre-atlantique, la professeure et chercheuse en immunologie Yasmine Belkaid, née en Algérie, est revenue vivre en France pour prendre la direction du prestigieux centre de recherche biomédicale Institut Pasteur. Son ambition est claire : rétablir la confiance envers la recherche scientifique et défendre sa liberté.

« Chercheur, c’est un engagement de vie. Vous passez des mois sans résultats, vous partez sur de mauvaises pistes, puis vous trouvez une nouvelle collaboration qui vous emmène ailleurs, vous progressez… confie-t-elle au Monde en décembre 2024. Les joies de la recherche, c’est ça : le chemin. Même s’il faut une résilience très forte, parce qu’il a des échecs. Il faut aussi un petit grain de folie ! » Et à observer le chemin parcouru, on se dit que tous les ingrédients sont là pour faire de Yasmine Belkaid une chercheuse exemplaire et, semble-t-il, joyeuse. Des ailleurs qui font progresser, depuis son Algérie natale quittée pendant la décennie noire jusqu’à la France en passant par les Etats-Unis, où elle a contribué à des avancées scientifiques majeures. Une résilience et un grain de folie incontestables puisque voilà bientôt trente ans qu’elle cherche à élucider une seule et même question : de quoi est faite la relation entre les microbes et notre organisme.

L’émancipation en héritage
Le parcours de Yasmine Belkaid débute bien avant sa naissance à Alger en août 1968 avec les chemins de traverse de ses parents, deux exemples de résiliences empreintes de folie. Sa mère a grandi dans une famille de pharmaciens, entre Louviers et Versailles. Après des études classiques de latin et de grec, elle devient professeure et son avenir semble tout tracé. Mais la jeune femme est profondément engagée dans les combats contre la colonisation : lorsqu’en 1962, l’Algérie obtient son indépendance, elle embarque amis et mari et s’y installe « « pour venir reconstruire le pays et réparer les ravages de la colonisation » raconte Yasmine Belkaid au Monde. Sur place, la jeune femme de 23 ans tombe sous le charme d’un jeune homme aussi épris de liberté qu’elle : Aboubakr Belkaid, qu’elle épouse aussitôt son divorce prononcé. L’enfance de cet algérien « ténébreux » est marquée par la colonisation et la pauvreté. Engagé dès ses 13 ans dans la guérilla, autodidacte, il deviendra haut-fonctionnaire puis ministre à plusieurs reprises pour construire un pays ouvert et libre. À ses trois enfants, ce père apprend « à regarder le monde avec distance, témoigne Yasmine Belkaïd. C’était un homme merveilleux qui laissait entendre qu’on pouvait poser des questions sur tout, que rien n’était acquis. Militant de l’indépendance de son pays, il a toujours eu un attachement profond pour la justice, l’égalité, la dignité humaine. Il était généreux et empathique. C’est l’éducation que j’ai reçue : ne pas juger, essayer de comprendre les motivations des autres. » Faire rimer l’éducation avec émancipation est un principe que Yasmine a hérité des deux branches familiales. Côté algérien, sa grand-mère, analphabète, mariée adolescente, mère de huit enfants et veuve très tôt, tient à ce que ses filles aient un autre destin que le sien. « Elle leur disait : Allez, sortez de la cuisine, travaillez ! confie Yasmine. Elle avait compris que leur salut viendrait de l’éducation. L’une est devenue médecin, l’autre sage-femme. » La grand-mère française n’est pas en reste. Ayant perdu son père très jeune, elle est la première femme à obtenir un diplôme scientifique dans les Alpes, part seule à Paris pour devenir pharmacienne. Yasmine Belkaid s’en souvient avec netteté : « elle avait un laboratoire derrière l’officine. Mes premiers jouets, c’étaient des objets scientifiques sur la paillasse blanche. Et elle m’amenait dans la montagne, me montrait les plantes, comment on pouvait les transformer en remèdes. À 6 ans, j’ai annoncé que je voulais devenir chercheuse. J’ai commencé à rédiger une encyclopédie. Je me suis arrêtée à la lettre A, après peut-être deux entrées. Mais c’était décidé. » Et rien, ni l’exil, ni l’assassinat de son père, ni le sexisme ambiant du milieu scientifique ne viendra remettre en cause cette décision. Bien au contraire.

Une femme remarquable
Son bac en poche, Yasmine Belkaid se forme en biochimie à l’université des sciences et de la technologie Houari-Moumédiène, à l’est d’Alger et veut poursuivre avec une thèse en immunologie, une évidence qui s’est imposée à elle pendant un stage en laboratoire à Genève. Elle se souvient : « à 16 ans, je suis tombée dans la marmite des maladies infectieuses : une nouvelle révélation ! Cette discipline combinait ma curiosité insatiable pour le vivant et certaines valeurs : comprendre les maladies qui affectent les gens, travailler sur des vaccins, a un impact direct sur la société. » Mais c’était sans compter la guerre civile qui oppose, depuis 1992, le gouvernement algérien et plusieurs milices islamistes et causera plusieurs milliers de victimes et autant de réfugiés. « Mon père nous a envoyés en France, avec ma mère, mon frère et ma sœur. Il nous pensait en danger ». Le 28 septembre 1995, alors qu’il discutait avec des amis de l’organisation éventuelle d’une coalition des démocrates, il est tué par balles en plein cœur de la ville d’Alger. Yasmine a vingt-sept ans et commence à peine à trouver ses marques en France, en grande partie grâce à l’Institut Pasteur où elle conduit sa thèse avec brio. La mort de son père et le peu de perspectives pour une jeune docteure en France finissent de convaincre Yasmine Belkaid de partir, une fois encore. Avec son anglais maladroit et son petit garçon, la récente mère divorcée débarque à Bethesda (Maryland) où l’attend un contrat de post-doctorat pour le National Institut of Health (NIH), l’institution fédérale américaine en charge de la recherche médicale. Le coup de cœur est immédiat. « C’est une autre façon de faire de la science, raconte-t-elle. La hiérarchie est beaucoup moins pesante, on est ouvert aux idées de l’autre et toute voix peut contribuer à la créativité, quels que soient son statut ou son origine. » Donnant tort aux statistiques, elle poursuit son chemin de femme chercheuse dans un milieu d’hommes, rejoint des équipes scientifiques prestigieuses et finit ouvrir un laboratoire à partir de 2005 au sein du même NIH qui l’avait accueillie quelques années plus tôt. Entourée d’une équipe internationale et interdisciplinaire, elle trouve quelques réponses à ses questions (mais d’autres émergent sans cesse) et fait des découvertes majeures en matière de compréhension de la réponse immunitaire aux infections, ce qui lui vaut de nombreux prix et le statut de figure incontournable de la recherche mondiale.

 

Son arrivée à la tête de l’Institut Pasteur en janvier 2024 présage ainsi de nouvelles ambitions d’inclusivité, d’ouverture et de diversité pour ce centre de recherche fondé en 1887 et qui n’avait connu jusqu’à présent qu’une seule femme à la direction. « Au moment de faire ce choix, écrit-elle dans une tribune publiée avant le second tour des législatives de juin 2025 où elle appelle pour à faire front face au Rassemblement National, la France m’apparaissait comme l’un des derniers refuges, voire l’un des derniers remparts contre le repli sur soi, la haine de l’autre et l’indifférence au sort des plus faibles. » À l’heure où la recherche scientifique est menacée de toute part, Yasmine Belkaid sait que le chemin qui l’attend n’aura rien d’un fleuve tranquille. Qu’importe. La liberté vaut bien un combat.

 

Yasmine Belkaid en quelques dates

 

1968 Naissance à Alger
1993 Magistère en biochimie à l’université des sciences et de la technologie Houari-Boumédiène
1995 Assassinat politique de son père, en plein centre d’Alger
1996 Thèse de doctorat à l’université Paris-Sud et à l’institut Pasteur sur les réponses immunitaires au parasite Leishmania. Elle part ensuite aux USA pour débuter un post-doctorat au National Institute of Allergy and Infectious Diseases
2002 Rejoint la section immunologie moléculaire à l’hôpital pour enfants de Cincinnati
2005 Devient chercheuse titulaire au NIAID où elle crée le département de l’immunité de l’hôte et du microbiome et occupe les fonctions de directrice de laboratoire
2013 Médaille d’or de l’Union internationale de biochimie et de biologie moléculaire
2016 Prix Sanofi-Institut Pasteur
2021 Prix Robert Koch
2024 Prend la direction de l’Institut Pasteur pour un mandat de 6 ans
2024 Prix Génies Arabes dans la catégorie médecine

 

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