Eva Leimbergerová – « En tant que comédienne, on joue avec le coeur et c’est toujours le même en français ou en tchèque »
À chaque numéro, le témoignage d’une personnalité marquante de l’émission de TV5MONDE présentée par Ivan Kabacoff. Aujourd’hui, la comédienne et actrice tchèque Eva Leimbergerová, dont la carrière est intimement liée à son amour du français.
Je suis née à 200 kilomètres de Prague, dans la ville de Brno, le 3 mars 1982. Ma mère a travaillé en Suisse et parlait français, ce qui était assez rare à l’époque du communisme, où on parlait plutôt russe. J’avais 15 ans quand je suis allée de mon propre chef prendre des cours à l’Alliance française de Brno. C’est à 15 ans aussi que j’ai intégré le Conservatoire d’art dramatique, puis je suis partie à Prague pour poursuivre mes études. À l’université, j’avais une super prof : elle était tchèque et nous obligeait à parler français, c’était génial car cela nous a appris à nous exprimer, même si c’était assez basique. À 19 ans, j’ai passé trois semaines à Nice, durant l’été, et je me souviens que pendant les 20 heures de trajet en bus, j’étais assez effrayée de ne pas savoir parler français. J’ai eu de la chance : je suis tombée dans une famille d’accueil qui avait un enfant de 2 ans, ils parlaient donc avec lui lentement et de manière simple, ce qui m’a permis d’apprendre aussi. Quand je suis rentrée à la maison, je pouvais parler français ! J’ai ensuite été acceptée au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris et j’ai passé un an en France. Les trois premiers mois ont été assez difficiles, car j’avais l’impression de ne rien comprendre et de ne pas réussir à m’exprimer ! J’aime les mots justes, m’exprimer avec précision est important pour moi et là, c’était assez frustrant… Heureusement, j’avais des cours à la Sorbonne, pour étudier la phonétique notamment, cela m’a beaucoup aidé à améliorer ma prononciation et à enrichir mon vocabulaire. Après cette année parisienne, je suis rentrée à Prague et j’ai eu un contrat dans un théâtre où j’ai passé cinq saisons en tant que sociétaire. En 2011, j’ai passé un concours pour une pièce de théâtre à Paris : j’y ai déménagé et vécu jusqu’en 2015. Pour gagner ma vie, j’ai travaillé au théâtre, dans des bars et des restaurants. De retour à Prague après cette période parisienne, j’ai fondé ma famille et continué à faire du théâtre et des tournages. J’utilise la langue française au quotidien, car c’est la langue que je parle avec mon compagnon, qui est français.
Le français m’a aussi apporté des opportunités professionnelles : en République tchèque, il est peu commun de parler des langues étrangères, c’est mon truc à moi. Je parle tchèque, français, anglais, un peu allemand et slovaque, car mon père est slovaque. Pendant une période, j’ai beaucoup travaillé avec les productions américaines qui venaient tourner à Prague, il y a également parfois des propositions de casting où il faut parler français. En raison de mon accent, on me confie souvent des rôles d’étrangère ou de femme des pays de l’Est, c’est comme ça ! Je travaille aussi pour la production du festival du film français, organisé par l’Institut Français de Prague et l’Ambassade de France, je réalise des doublages. Et puis je fais du théâtre. Jouer en français, n’est pas si différent que de jouer dans ma langue maternelle : il y a un scénario, du texte à apprendre, les sentiments et le parcours du personnage. On joue avec le coeur et c’est toujours le même, en français ou en tchèque. Ce qui est plus difficile, c’est de répondre à une interview ou de parler, tout simplement.
En République tchèque, le français a l’image d’une langue très compliquée et les gens ont peur de l’apprendre, ils lui préfèrent l’anglais, l’espagnol ou même l’allemand. Ce qui dérange les Tchèques dans la langue française, c’est la prononciation, car les sons sont très différents de ce qui existe dans notre langue. Les gens ont peur d’être ridicules. J’explique toujours que ce n’est pas si difficile, contrairement à la langue tchèque, qui est complexe, notamment du point de vue de la grammaire, car il y a des déclinaisons. J’essaie de partager l’idée qu’il suffit de comprendre comment fonctionne le français pour y avoir accès, et que c’est une langue magnifique ! Les livres en version originale, notamment, sont tellement plus beaux.
J’aime bien l’expression qui dit qu’on est autant de personnes différentes qu’on parle de langues. Pour moi, c’est exactement ça : parler d’autres langues, et notamment le français, ça me permet d’avoir plusieurs visages, ça m’ouvre des possibilités de connaître les gens, d’aller en profondeur dans la rencontre et les choses. Je suis quelqu’un d’autre quand je parle français et cela me plaît beaucoup.
Retrouvez Eva dans Destination Francophonie
http://df.tv5monde.com/