réseaux sociaux et usages pédagogiques

Animer et faire vivre un réseau social dédié au FLE

Posté le par le français dans le monde

Article écrit en avril 2024 par David Cordina, numéro 452, Le français dans le monde
Dossier Réseaux sociaux et usages pédagogiques, Pratiques de classe

L’étude « Les derniers chiffres du numérique » publiée par We Are Social France en juillet 2023 offre un aperçu détaillé des pratiques numériques mondiales. Plus de 60% de la population mondiale utilise désormais les réseaux sociaux. Un constat qui s’inscrit dans un contexte d’évolution des usages.

On a beaucoup analysé les 20 ans de Facebook, notant en particulier le vieillissement de ses utilisateurs et la concurrence entre réseaux sociaux selon les tranches d’âge. On observe l’abandon ou l’absence des 18-24 ans sur Facebook, privilégiant généralement TikTok. Malgré ces changements démographiques, la base des utilisateurs reste solide et progresse mondialement.
Au-delà de ces chiffres, l’évolution du rôle des réseaux sociaux, passant de simples outils de communication à de véritables médias, ont soulevé de nombreuses controverses dégradant l’attractivité éducative de ces outils : scandales de l’utilisation des données des utilisateurs, influences sur certaines élections à travers le monde, algorithmes au fonctionnement opaque, vulnérabilité des jeunes publics, exposition à du contenu violent ou inapproprié…
Qu’en est-il de l’éducation et de l’apprentissage des langues dans ce contexte ? Selon une étude récente, plus de 50% des 18-24 ans affirment utiliser Internet quotidiennement à des fins éducatives.
Grâce à un enrichissement des fonctionnalités, rendant la multimodalité encore plus accessible sur tous les supports (téléphone et ordinateur), les usages et les potentiels éducatifs des réseaux sociaux semblent toujours présents.

Possibilités d’action et d’utilisation offertes par un environnement numérique
L’importance d’un environnement numérique stable est devenue essentielle pour les institutions et les centres de langue désireux d’assurer un enseignement en ligne de qualité. Les outils tels que les ENT (environnements numériques de travail), les plateformes du type Moodle, la gamme éducative Google Classroom, la plateforme Apolearn du réseau Alliance Française, ou même des solutions générales comme Discord, initialement orienté vers les jeux vidéo mais utilisé de manière improvisée par des enseignants débrouillards pendant les confinements, permettent de répondre à ces besoins. Les apprenants passent donc plus de temps dans ces environnements “plus ou moins scolaires” qui ne valorisent pas l’approche réseau social d’une communauté en ligne.
L’apparition des réseaux sociaux dédiés à l’apprentissage peut être appréhendée à l’aune du concept d’affordance chez les enseignants. L’affordance pour un enseignant fait référence aux possibilités d’action et d’utilisation offertes par un outil ou un environnement numérique dans un contexte éducatif.
Plus spécifiquement, l’affordance désigne les caractéristiques d’un outil qui permettent à l’enseignant de réaliser plus facilement certaines tâches pédagogiques (interactions, création de contenus, évaluations, etc.), proposer de nouvelles activités d’apprentissage innovantes, mieux s’adapter aux besoins et aux styles d’apprentissage de ses élèves, faciliter la gestion de la classe et le suivi des progrès des apprenants. L’affordance met l’accent sur le potentiel d’un outil numérique à être utilisé de manière pertinente et efficace par l’enseignant dans sa pratique pédagogique. Elle dépend à la fois des fonctionnalités techniques de l’outil et de la façon dont l’enseignant parvient à les exploiter pour atteindre ses objectifs d’enseignement. Bien comprendre l’affordance d’un outil numérique est donc essentiel pour que l’enseignant puisse l’intégrer de manière réfléchie et optimale dans ses activités d’enseignement-apprentissage.
Dans les années 2000, des enseignants innovants ont su détourner les réseaux de communication pour en faire de véritables environnements d’apprentissage : groupes Facebook d’apprenants, réseaux sociaux éducatifs comme Ning ou Edmodo, projets de classe Twitter/X avec des utilisations expérimentales et éducatives menées par des enseignants sachant développer des usages avec leurs classes.
Cependant, ces usages innovants restent globalement marginaux et nombreux n’ont pas perduré. Les messageries de téléphone et les groupes-classes créés avec WhatsApp, WeChat et autres ont permis des projets d’interactions dans de nombreuses classes, mais se limitent à la sphère du groupe et à la durée du cours, sans les fonctions d’archivage, d’organisation du contenu, et d’animation offertes par les plateformes ou les réseaux sociaux dédiés.
Ces projets pédagogiques utilisant des réseaux sociaux ont connu des fortunes diverses. Certains ont rencontré des succès plus ou moins durables, en fonction de l’engagement et de la motivation de leurs créateurs, mais de nombreux autres ont été marqués par des réussites modérées ou des échecs, faute de formations ou d’aide à l’animation générale de la communauté.

Une expérience personnelle de manager de communauté apprenante
Entre 2007 et 2022, j’ai développé trois grands projets de réseaux sociaux dédiés à l’apprentissage du français : Foreigners in Lille (2007-2011) Mumbaikar in French (2010-2015) et HK in French (2017-2022) et son versant enfants, HKids in French (2020-2022). Ces communautés en ligne, maintenant disparues, ont réuni des milliers d’apprenants. Parmi les innombrables échanges (notamment avec les apprenants indiens), certaines interactions ont été de véritables réussites d’un point de vue linguistique, socio-interactionnel et communicationnel, comme des blogs tenus par des étudiants, des projets d’écriture ouvert sur le web social créant des interactions avec des internautes extérieurs à la classe, des projets d’e-tandem de diverses formes, et des créations spontanées d’écriture par les étudiants.
Je prends conscience de la difficulté pour les enseignants de gérer de manière durable une communauté éducative en ligne, que ce soit en termes de temps investi ou de maintien de la motivation à long terme.
D’une ambition de créer une communauté d’intérêts pour la langue française, je suis passé peu à peu à l’idée plus simple d’une plateforme de scénarios pédagogiques et aux rôles habituels d’un environnement scolaire.
Ces trois exemples étalés sur plus de 15 ans m’ont fait comprendre que le rôle d’un community manager éducatif n’est facile ni à mener ni à transmettre. Cependant, les bénéfices en valent la peine, car une fois réussis et mis en place, ces projets constituent une très belle vitrine numérique et pédagogique pour un centre de langue.

Devenir aujourd’hui manager d’une communauté apprenante
Pour les enseignants qui souhaitent se lancer dans l’aventure d’administrer et de manager une communauté apprenante, voici quelques conseils clés.
Tout d’abord, la phase de préparation est cruciale. Le plus grand défi est actuellement de trouver l’outil le plus adapté, qui allie les fonctionnalités d’un système de gestion de l’apprentissage (LMS) à une forte dimension de réseau social. Une fois cet outil choisi, il faudra soigner la conception et la configuration de la page d’accueil, en veillant à la rédiger dans la langue cible (le français dans le cas du FLE) tout en offrant éventuellement des éléments dans la langue maternelle des apprenants, pour faciliter leurs premiers pas. Ensuite, l’objectif sera ensuite de favoriser une immersion dans l’environnement francophone.
L’accueil et la socialisation des membres de la communauté constituent une autre étape essentielle. Il s’agira d’accueillir chaleureusement les nouveaux inscrits, de leur faire connaître la charte d’utilisation et le tutoriel de bienvenue, tout en répondant avec bienveillance à leurs éventuelles questions techniques : où est mon enseignant ? où est mon groupe ?
Cette phase d’intégration joue un rôle fondamental pour la socialisation des étudiants et leur future participation active. Un soin particulier pourra également être apporté à la rédaction de la page de profil, comme une première activité de A1, avec la valorisation de l’image de profil, réelle ou factice en jouant sur l’identité numérique des apprenants et des enseignants, par exemple à travers l’utilisation d’avatars ou de « selfies » ou encore d’images d’objets, animaux, personnages fétiches emblématiques.
Le rôle du community manager consiste ensuite à entretenir une dynamique régulière de publication au sein de la communauté : l’accent sera mis sur l’observation des publications quotidiennes des apprenants, ainsi que l’animation de la première page avec l’organisation d’événements collectifs ou l’intégration d’éléments ludiques, comme des concours ponctuels, qui peut également s’avérer bénéfique.
Enfin, un enjeu majeur sera de catalyser l’écriture et la participation active des apprenants secondés par les projets des enseignants. Leur rôle est alors de stimuler ces contributions, en proposant par exemple des projets et des tâches à réaliser dans l’environnement numérique choisi. Il s’agit de mettre en œuvre une véritable pédagogie de projet, en s’appuyant sur les scénarios pédagogiques proposés dans les méthodes actuelles par exemple. L’objectif sera de valoriser une écriture et des interactions multimodales, combinant textes, images, vidéos, dans la langue cible et réfléchir aux modes de médiation / corrections apportées et aux statuts des textes publiés (texte en construction, texte corrigé en classe, texte non corrigé). Ici encore, l’intelligence artificielle et des outils d’annotations sur les textes déjà publiés pourront apporter de nouvelles solutions.

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