Quand la métaphore sportive culbute la langue au quotidien

Posté le par le français dans le monde

La mêlée ouverte, la reprise de volée, le banc de touche ou le Poulidor de la politique… Les métaphores sportives se multiplient dans la langue contemporaine, et la vie qui nous entoure se transforme en un match global. Et nous ? Tantôt en champions, tantôt en spectateurs !

Par Yvan Amar

Une mutation d’un genre inconnu est-elle en train de transformer les francophones en sportifs potentiels ? Les Jeux olympiques de Paris n’ont pas commencé que déjà toute la France, toute la francophonie, toute la langue française en frissonnent, en vibrent même. La flamme n’est pas même à destination que déjà elle embrase tous les sujets qu’elle lèche : les images du sport enveloppent le monde qui nous entoure. Chacun voudrait-il compétir ? Voilà bien un mot, ignoré par nos dictionnaires académiques et pourtant très courant en français d’Afrique, qui commence à envahir la langue courante et surtout la pensée ordinaire, comme si cette excitation nous avait gagnés, alors que nous n’en sommes jamais qu’à l’échauffement. Ne feignons pas l’étonnement: l’affaire n’est pas toute nouvelle. Et pourtant, à l’échelle de l’histoire linguistique, elle n’est pas bien vieille : un bon demi-siècle, sans plus. Mais elle témoigne d’un glissement plutôt sympathique : le français classique ne jurait que par la guerre – jusqu’à la rhétorique amoureuse qui en était imprégnée. Autrefois, avec un machisme qui hélas ne se dément pas, le chevalier faisait le siège de sa belle et finissait parfois par emporter la forteresse. Aujourd’hui il transforme l’essai

Corps et esprit

Cette tendance se remarque à propos de sujets bien différents, qui concernent par exemple les attitudes, physiques ou psychologiques – le mental. Voilà bien un mot qui sent son entraîneur. Comment disait-on auparavant? Le moral? L’état d’esprit? On n’en est pas loin, mais le mental est à cheval sur la condition corporelle et la disposition d’esprit: il y a du psychosomatique là-dedans ! Le mental tient à la mâchoire qui avance, au torse qui se bombe, à l’œil qui étincelle et à la voix qui s’élève: avec un rien d’arrogance, on anticipe la victoire ou parfois simplement la défaite de l’autre!

Pourtant l’influence de l’esprit sur le corps ne suffit pas à arracher toutes les victoires: il faut se donner un peu de mal, mouiller le maillot. L’image de la transpiration, qui intègre la sueur et la chemise qui colle, mais pudiquement éloigne l’odeur, a largement dépassé les limites du terrain: on l’entend dans des situations bien diverses et elle est bien représentative de cette contagion: au bureau, à l’école, sur le chantier, on mouille le maillot quand on multiplie les efforts. Ce qui ne se fait pas toujours de manière continue : la première fatigue passée, il faut trouver un deuxième souffle : belle expression, assez parlante, qui évoque l’énergie plus tranquille, plus régulière qui succède à l’essoufflement qui vous étreint si vite quand on jette toutes ses forces dans la bataille. Le succès de l’expression doit beaucoup au film très noir et très français de Jean-Pierre Melville, adapté du roman de José Giovanni. 1958 : l’écrivain avait senti le vent. Ce titre, au romantisme énigmatique, a ouvert la voie et fait beaucoup pour le succès du livre, et du film.

Succès et défaite

D’autres images sont là pour évoquer tant le succès que la défaite : quand on réussit, on monte sur le podium, sur la plus haute marche ; on fait chanter La Marseillaise ! Si on est simplement en bonne voie, on fait la course en tête, on endosse le maillot jaune – un clin d’œil au cyclisme qu’on va retrouver avec une signification inverse quand on est la lanterne rouge du peloton. Avant d’être une tradition du vélo, cette signalétique venait des chemins de fer: on accrochait une lumière rouge au dernier wagon d’un convoi. Et aujourd’hui encore, l’image est associée à une file, une caravane, qu’elle soit concrète ou théorique : on est lanterne rouge au classement…

Pourtant, jusqu’à la dernière épreuve, la lanterne rouge peut remonter la pente, alors que si l’on est K.-O. debout c’est moins sûr! K.-O., on sait ce que ça veut dire: abréviation de l’anglais knocked out: un bon coup de poing, souvent à la pointe du menton, qui vous fait perdre conscience pendant un temps. C’est d’ailleurs le premier anglicisme qu’on rencontre jusqu’à maintenant – indice que la langue du sport, ne serait-ce que par l’origine de ce mot (de l’ancien français desport), s’abreuve largement au français. Mais le K.-O. debout est plus impressionnant que celui qui vous étend au sol: encore sur ses deux jambes, vacillant, avec une perte de contrôle, l’œil vague, le boxeur donne encore l’illusion que le combat peut continuer: verticalité fantomatique qui prélude à un effondrement définitif…

Attitudes sportives

Au-delà des attitudes, un certain nombre d’actions empruntent leur dénomination aux habitudes sportives. Quelques-unes sont positives et musclées : on peut sprinter si l’on accélère brusquement la cadence, si l’on jette ses dernières forces à la fin de l’épreuve sans crainte de s’épuiser. Et là encore, l’anglais s’entend. Alors que slalomer se souvient de sa Norvège natale. Cette façon sinueuse et parfois zigzagante d’éviter des obstacles et de ralentir sa course nous vient de Scandinavie comme beaucoup des mots du ski qui y sont nés: on a le choix entre le slalom et le schuss, trombe téméraire qui fonce droit devant elle, insouciante des risques et des obstacles, mot également norvégien au départ bien qu’il ait transité par l’Allemagne. Shooter est tout aussi direct, même si le mot nous ramène dans un monde anglo-saxon marqué par le football. Parfois c’est l’adversaire qu’il faut savoir stopper, et le rugby est bien utile dans ces cas-là: on le renvoie dans ses vingt-deux mètres… « Je te l’ai renvoyé dans ses “vingteudeux” ! » Une expression qui n’a de sens que si elle est prononcée avec l’accent du Sud-Ouest, mais qu’on entend assez couramment dans cette région pour signifier qu’on rembarre quelqu’un, qu’on l’éconduit ou qu’on lui répond vertement.

Pour finir, on peut toujours hélas jeter l’éponge, c’est-à-dire abandonner. Expression plus ancienne que la plupart de celles qu’on a évoquées, on la trouve après la Première Guerre mondiale, traduite de l’anglais. Elle nous ramène à la boxe : l’éponge servait à rafraîchir le visage du combattant entre deux reprises et on la jetait pour déclarer forfait. Alors du carton rouge qui signale une faute grave et interrompt la partie de football à l’interjection dans le mille ! qui évoque une cible et une réussite éclatante autant qu’inattendue, on passe des étapes nombreuses avant qu’on ne siffle la fin de la partie – une formule qui clignote avec une autre dont l’origine est à l’école : siffler la fin de la récréation!

Mais tout n’est pas fini après cette stridence symbolique, il reste à jubiler de la victoire, ou à se consoler de la défaite : l’heure est à la troisième mi-temps. Retour au rugby pour cette expression qui aurait pu provenir de nombreux autres sports collectifs de ballon. Mais c’est bien l’ovalie, la région du ballon ovale, qui en est le berceau. Formulation bien sympathique, qui évoque la bonne humeur, mais pas forcément les excès. Le stade déserté, tout le monde se retrouve au café pour refaire le match, rappeler les précédents, rêver au suivant… Et là encore l’expression s’emploie dans la vie civile pour évoquer les discussions qui suivent une échéance.

Des clichés ? Sans doute, mais qui ne sont pas sans charme et se renouvellent constamment. Comment appelle-t-on aujourd’hui une direction à prendre ? Un couloir de nage ! Ça vient de sortir mais la formule est appelée à un joli succès !


Yvan Amar est producteur à Radio France longtemps animateur du fameux « Jazz club » sur France Musique. Sur Radio France internationale, il anime les émissions sur la langue française dont la fameuse chronique : « Les mots de l’actualité ».


« Le mot de l’actualité » : Au plaisir de la langue

38 ans de récit et 10 000 mots plus tard, le 31 mars une voix s’est tue sur les antennes de RFI, celle d’Yvan Amar, avec son « Mot de l’actualité ».
« J’ai fait toute ma scolarité en vous écoutant tous les jours. » Objectif atteint pour Yvan Amar qui, avec cette chronique quotidienne pour RFI « Le Mot de l’actualité », a eu pour ambition, en trois minutes, de proposer un décryptage de l’information et de fournir une occasion d’améliorer son français. Proposer un décryptage de l’info, c’est à la radio et dans la presse qu’Yvan Amar va trouver les mots opportuns. Au choix, des clichés qui font sourire (Première Dame, couteau suisse, homme fort, faiseur de roi), des mots propres au vocabulaire journalistique (dérapage, coup d’éclat, prendre langue), des anglicismes aussi (fake news, me too), et encore des mots sortis d’une situation particulière (zadistes), d’une actualité politique (primaire, réarmement) ou riches de sousentendus (dans les clous). Et pour chaque mot, toujours les mêmes contraintes d’un exercice rigoureux : pas plus de 3000 signes et une écriture destinée à être dite, contrainte de la radio oblige. Offrir jour après jour aux auditeurs dont pour 80 à 90 % d’entre eux ce n’est pas la langue native, l’occasion d’améliorer leur français, satisfaire leur goût de savoir à propos d’une langue qu’ils n’ont de cesse d’interroger, Yvan Amar se retrouve être un juge de la norme toujours attentif à ne pas froisser les susceptibilités et surtout avec, jour après jour, le désir de faire partager avant toute autre chose, le goût des mots.


Vibrez Paris avec France médias monde !
Pendant les Jeux olympiques et paralympiques, Radio France internationale, diffuseur officiel en Afrique subsaharienne, en Europe et en France, invitera les auditeurs et internautes à vibrer au rythme olympique. Installées au Club France, les équipes de la radio internationale, en français et en 15 autres langues, y suivront tout au long de la journée l’actualité sportive et festive de l’évènement. Deux émissions quotidiennes en français mêleront performances sportives, témoignages d’athlètes mais aussi musique et regard sur l’impact du sport sur la société, en France et à travers le monde. Du 26 juillet au 8 septembre, les sessions d’information et les magazines de l’antenne s’installeront en alternance à la Grande Halle de La Villette, à Paris.

Le groupe France Médias Monde avec ses médias RFI, France 24 en quatre langues et MCD, la radio en arabe, s’installeront également à « Africa Station », une fan zone située à l’Île-Saint-Denis (en Seine-Saint-Denis, non loin du Stade de France) qui fêtera l’Afrique olympique et ses athlètes.

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