Faire entrer les émotions : des ados en classe !

Posté le par le français dans le monde

Parce que le français peut s’apprendre à tout âge et que chaque âge a ses spécificités, voici une nouvelle rubrique (à retrouver un numéro sur deux) dédiée à l’enseignement aux jeunes publics. Aujourd’hui, la part des émotions comme influence déterminante dans les tâches d’apprentissage chez les adolescents.

Par Jeanne Renaudin

lles sont partout, et pourtant, on ne les voit presque pas dans les livres d’apprentissage de français langue étrangère. Elles sont souvent une des principales causes de réussite d’une séquence pédagogique, mais on n’en parle que peu, on ne les entraîne pas, elles sont bannies de l’espace scolaire traditionnel, en particulier à partir du secondaire*. Elles, ce sont les émotions.

En effet, s’il n’est pas rare de voir, dans les enseignements précoces de FLE, des moments de classe centrés sur la vie en commun et sur ce que les élèves ressentent, ces moments n’existent plus pour les apprenants adolescents : la responsabilité de gestion des émotions semble leur être totalement confiée, alors même qu’il s’agit sans conteste d’une étape de la vie où les sentiments s’entremêlent, se bousculent et peuvent paralyser. Comment faire alors pour les aider à mieux les gérer et pour créer une communauté bienveillante pour vos activités en FLE ?

Ne plus avoir honte de s’ouvrir à l’autre

Si les enseignants ont l’habitude d’avoir à canaliser les discours des apprenants enfants pendant les sessions de classe, à partir de la préadolescence ils peuvent observer comment ils commencent à perdre leur envie de partager leurs histoires, leurs valeurs et leurs convictions devant la classe. Ce phénomène est peut-être dû à l’évolution même des jeunes apprenants, qui prennent petit à petit conscience du jugement de l’autre et sont de plus en plus sensibles à leur image sociale. Cela pourrait également être le fruit des différents systèmes éducatifs qui séparent, à partir d’un certain âge, les compétences liées au savoir-être et au savoir-faire interculturel (souvent cantonnées aux attitudes comme le respect de la différence, et toujours moins valorisées ou absentes des systèmes d’évaluation) et les compétences spécifiques liées aux contenus d’apprentissage, quelle que soit la matière enseignée.

Il convient de favoriser des dynamiques de classe qui permettent une mise en confiance des apprenants au sein d’une communauté positive et bienveillante entre pairs

Seulement, pour pouvoir suivre les (très) discrètes orientations du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues sur le sujet, l’utilisateur-enseignant est censé promouvoir des caractéristiques personnelles concrètes que les apprenants ont besoin de développer ou dont ils doivent disposer pour mener à bien des actes de communication dans le contexte social. Ces caractéristiques recouvrent, selon le Cadre, les attitudes, les motivations, les valeurs, les croyances, les styles cognitifs, mais aussi les traits de la personnalité. Sont ainsi citées les différentes dichotomies : silencieux/bavard, entreprenant/ timide, optimiste/pessimiste, introverti/ extraverti, pro actif/réactif, sens de la culpabilité ou pas, (absence de) peur ou embarras, rigide/souple, ouverture/étroitesse d’esprit, spontané/retenu, intelligent ou pas, soigneux/négligent, bonne mémoire ou pas, industrieux/paresseux, ambitieux ou pas, conscient de soi ou pas, confiant en soi ou pas, (in)dépendant, degré d’amour-propre.

Si certains traits de personnalité mentionnés ici sont facilement observables, d’autres sont au contraire difficiles à cerner, et seul l’apprenant lui-même pourrait les partager s’il en avait la volonté et s’il était incité à le faire. Il faudrait alors retrouver chez les adolescents cette capacité des enfants à parler de soi sans honte, à s’ouvrir à la classe aisément, tout en réalisant les activités langagières nécessaires au bon développement des compétences spécifiques de communication.

Des activités pour (re)prendre confiance

Parler de soi, c’est difficile, et plus encore dans une langue étrangère, il convient alors d’abord de favoriser des dynamiques de classe qui permettent une mise en confiance des apprenants au sein d’une communauté positive et bienveillante entre pairs. Ainsi, les pratiques ludiques pendant les cours, en permettant de dépasser l’égocentrisme et d’explorer avec légèreté différents rôles (partenaire, leader, adversaire, etc.), peuvent constituer de bons alliés pédagogiques. Des jeux de table aux jeux de rôles, il y a l’embarras du choix ! La lecture du livre Le jeu en classe de langue (CLE International, 2008), d’Haydée Silva, vous donnera de nombreuses pistes d’application.

De même, les pratiques de dramatisation comme celles proposées dans la fiche « Dramatisation en salle de classe » du n° 440 du Français dans le monde, permettront aux apprenants de prendre conscience de la capacité communicative de leur corps (enlevant ainsi une partie de l’angoisse liée au manque de compétences linguistiques dans les activités langagières), de se mettre à la place de l’autre avec des jeux comme les mimes ou le miroir, de parler des émotions et des intentions en utilisant tout leur corps (expression faciale, rythme, intonation, gestuelle, etc.).

Pour favoriser la construction d’une communauté de classe bienveillante, on peut également recommander de mettre en valeur tous les apprenants, quelles que soient leurs nécessités spécifiques d’apprentissage, et donc de valoriser et d’embrasser l’hétérogénéité en classe plutôt que de lutter pour une homogénéisation qui ne serait que superficielle. Pour cela, rien de mieux que le travail collaboratif et les projets ! Loin de faire perdre du temps dans les sessions de cours, ils vont permettre à tous de se sentir utiles et reconnus dans les tâches d’apprentissage tout en avançant sur les contenus, qu’ils soient linguistiques ou communicatifs.

Briser la rigidité de la relation pédagogique traditionnelle

De plus, pour réussir à mettre les apprenants en confiance, au-delà de les aider à construire une communauté positive entre pairs, il faut également leur permettre de se sentir en confiance avec l’enseignant. Depuis plusieurs années, on voit apparaître de nombreuses techniques pour rendre la figure de l’enseignant plus aimable au regard des apprenants. Les routines comme l’accueil et les salutations personnalisées sont par exemple à favoriser. Il est aussi bien connu que la correction systématique des erreurs linguistiques des apprenants peut être contre-productive, mais de manière plus générale, le rôle de l’enseignant doit être repensé concrètement, le professeur restant encore trop souvent centre des échanges et arbitre incontesté des activités de classe malgré de nombreuses publications recommandant une réelle évolution.

Concevoir des dynamiques de classe où l’enseignant est en retrait tout en guidant les apprenants et en les valorisant serait donc un objectif pertinent. Sur ce point, nous ne saurions que trop conseiller les vidéos de @ Unprofheureux sur YouTube, qui donnent de nombreuses pistes intéressantes pour favoriser des moments de classe à la fois productifs et bienveillants, sans distinction de discipline.

Enfin, en allant vers la construction d’une communauté bienveillante, à l’écoute des émotions de chacun et de leurs individualités, il serait possible de créer des activités où les apprenants pourraient se livrer, en français, sur des sujets habituellement difficiles à partager et pourtant au centre des objectifs d’apprentissage définis par le CECRL et son volume complémentaire. Comment ? Un exemple dans la fiche pédagogique de ce numéro : « Jouons l’empathie en classe avec nos ados ! »


*Voir notamment l’excellent article de Françoise Berdal-Masuy, « Créativité, émotion et apprentissage » (FDLM n° 434, p. 56-57).


Cette rubrique Jeunesse est une nouvelle rubrique qui paraîtra un numéro sur deux. Une fiche pédagogique de cet article, adaptable à tous les niveaux à partir du A1+, est à retrouver sur votre espace abonné.

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