« L’imperfection du robot en fait un interlocuteur humain et amusant »

Posté le par le français dans le monde

À chaque numéro, le témoignage d’une personnalité marquante de l’émission de TV5Monde présentée par Ivan Kabacoff. Aujourd’hui, Liisa Peura, professeure de français et doctorante à l’Université de Turku, en Finlande, membre de l’équipe de recherche RoboLang. Une rubrique « Étonnants francophones » à retrouver dans le numéro 437 (novembre-décembre 2021) du Français dans le monde.

Bandeau DF


Liisa Peura.

« Mon premier rapport à la langue française s’est fait par la musique classique que mes parents jouaient dans mon enfance. S’il y avait une certaine atmosphère lourde dans la musique allemande, je trouvais dans la musique française quelque chose de plus léger, où les mots semblaient jouer dans l’air montant comme des hirondelles. J’ai continué à découvrir des mots français dans les livres de cuisine de ma mère. Et lorsqu’à l’école on a pu choisir une nouvelle langue, le français était déjà un choix familier et naturel.

J’étais d’abord très timide pour le parler. Mon premier job d’été, je l’ai fait en Corse et j’étais gênée pour m’exprimer clairement – ce que j’osais faire avec l’abricotier (et les vaches). « Bonne nuit », c’était comme de la soie, mais d’autres sonorités étaient de véritables épreuves. J’ai réalisé très tôt à quel point le ton était important, la façon de dire les choses plutôt que ce qu’on dit. Pourtant, la langue m’a emportée, elle est devenue un miroir au travers duquel je vois le monde sous un angle différent. Cela a été renforcé par les années où j’ai travaillé sur divers projets de l’Union européenne. J’ai appris que le français est une langue et une culture pleine d’exceptions. Ainsi, les mots-clés de la francophonie me sont devenus l’amour, la joie d’apprendre et le savoir-vivre, mais aussi le paradoxe.

« J’ai réalisé très tôt à quel point le ton était important, la façon de dire les choses plutôt que ce qu’on dit. Pourtant, la langue m’a emportée, elle est devenue un miroir au travers duquel je vois le monde sous un angle différent »

Sur le tournage de « Destination Finlande ».

Ce qui m’intéresse maintenant, c’est de voir si mes élèves sont aussi courageux pour parler à un robot que je l’ai été avec un abricotier. C’était une chance de construire un projet pilote comme RoboLang (https://sites.utu.fi/robolang/). J’aime faire le pont entre la vie pragmatique de l’école et la vie scientifique. Les élèves apprennent la langue et à naviguer dans un monde de plus en plus numérisé. Un robot motive la persévérance par la « ludification », même si le paramétrage de jeu est souvent simple et que les réactions du robot sont neutres, sans retour d’information linguistique personnalisé.

Cependant, le robot reste un robot, même en interaction. Il ne sait pas encore comment produire ses propres phrases et n’accepte que les réponses codées pour les tâches accomplies. Il faut encore développer une interaction plus naturelle et flexible, où l’auditeur comprend l’intention de son interlocuteur. Le robot non, et cela produit une communication manquée, de répétition, mais heureusement, finalement, de succès. Car dans le monde réel, un vendeur de billets français aurait fermé la fenêtre de son guichet depuis longtemps !

« Avec l’essor de la pédagogie robotique, nous prenons position sur la scolarité que nous construisons. Quelle est la valeur ajoutée d’un robot pour l’apprentissage du français ? Comment influe-t-il sur la prononciation et la volonté de communiquer en français ? Comment modifie-t-il les interactions ? »

En revanche, le paradoxe, c’est l’imperfection du robot qui en fait un interlocuteur humain et amusant lorsque le message passe enfin. Avec l’essor de la pédagogie robotique, nous prenons position sur la scolarité que nous construisons. Quelle est la valeur ajoutée d’un robot pour l’apprentissage du français ? Comment influe-t-il sur la prononciation et la volonté de communiquer en français ? Comment modifie-t-il les interactions ?

Aujourd’hui, les robots ne peuvent pas être la seule méthode d’apprentissage, mais peuvent enrichir d’autres pratiques pédagogiques. J’espère ainsi que le contact linguistique avec le robot favorise de vrais contacts pour mes élèves, car il leur donne un aperçu d’une conversation avec un francophone. La volonté et le courage de communiquer – l’amour pour la langue, le savoir-vivre, la joie d’apprendre et le paradoxe –, les mots clés sont toujours là. »

Retrouvez LIISA sur Destination Francophonie

 

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