Avoir 20 ans à Beyrouth

Posté le par le français dans le monde

À chaque numéro, le témoignage d’une personnalité marquante de l’émission de TV5Monde présentée par Ivan Kabacoff. Aujourd’hui, Rita Hasrouty et Tia Abi Aad, étudiantes de lettres françaises à Beyrouth, au Liban. Une rubrique « Étonnants francophones » à retrouver dans le numéro 433 (mars-avril 2021) du Français dans le monde.

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« Je m’appelle TIA, je suis en 1re année de Master en lettres françaises. Je suis née dans un pays trilingue où l’on parle arabe, français et anglais. J’ai très vite appris à parler français, je ne l’ai pas choisi, il m’a choisie. Assez vite, les belles histoires de Régis Delpech, les doux contes d’Erik Orsena, les récits de Marcel Pagnol puis les romans d’Éric-Emmanuel Schmitt, m’ont accompagnée pendant mon enfance puis mon adolescence.

Très tôt, j’ai commencé à lire en français, écrire en français, et cela a été une évidence pour moi, en grandissant, de me consacrer à des études de littérature française afin de faire valoir cet univers, riche de sens, riche de sons et riche d’idées, aux yeux de ceux qui croiseront mon chemin. Mon parcours universitaire au département de Lettres françaises de l’Université Saint-Joseph m’a ouvert beaucoup de voies et m’a permis de rêver en français, rêver en francophonie aussi. Mais depuis l’année qui vient de passer, les rêves et les certitudes sont ébranlés.

« Il est difficile d’être une “soldate” de la littérature ou de la francophonie quand tout ceci est écrasé par des cataclysmes bien trop grands pour les Libanais et en particulier les jeunes »

Il est difficile d’être une « soldate » de la littérature ou de la francophonie quand tout ceci est écrasé par des cataclysmes bien trop grands pour les Libanais et en particulier les jeunes. Vivre à Beyrouth, après la double explosion du 4 août, avec la double crise économique et sanitaire, est doublement difficile pour ceux qui essayent de se frayer un chemin vers l’avenir. Confinée chez moi, avec le télétravail (j’enseigne le FLE) et l’enseignement à distance, ce n’est pas facile d’avoir une vision claire du futur. J’ai l’impression que pour aimer Beyrouth à nouveau, il faut savoir « partir pour mieux revenir » – ce que j’envisage, et comme beaucoup de gens de mon âge qui ne sont pas encore partis (on a compté, il me semble, environ 3000 à 4000 départs de jeunes par jour cet été), je suis tiraillée entre me battre pour moi et m’en aller et me battre pour nous tous. Mais quelque chose me dit que si nous faisons les choses correctement, nous pourrons, avec la patience que nous maîtrisons mais qui s’épuise pourtant bien vite, redonner à Beyrouth et au Liban de jolies couleurs multilingues et culturelles. Pour le moment, j’attends et j’espère. »

 

« Mon nom est RITA, je suis en 3e année de français à l’Université libanaise. Quand j’étais toute petite, je ne savais même pas lire, j’étais déjà curieuse des livres de notre bibliothèque. Ils étaient tous en français. Et quand j’ai eu 12 ans, j’ai commencé à lire Hugo pour juger Quasimodo et sa bosse, Maupassant pour suivre le Horla dans son errance, Camus pour comprendre Meursault. Et tant d’autres ! C’est devenu une addiction. Comprendre pourquoi l’auteur dit « va, je ne te hais point » au lieu de « je t’aime, tu peux partir le cœur léger »… C’est là qu’a débuté ma hâte d’apprendre le français, pour déchiffrer les messages des écrivains. Mais aujourd’hui ce n’est pas facile d’étudier.

Avec la pandémie, j’ai dû m’endetter pour acheter un ordinateur portable comme la plupart des étudiants libanais. Pour rembourser, je donne des leçons de français. Je n’ai pas toujours le temps de suivre mes cours d’université en direct, alors je les télécharge, et je me rends aussi au Campus connecté de l’Agence universitaire de la Francophonie, qui nous met à disposition sa salle multimédia.

« Il y a un avant et un après l’explosion, cet évènement qui a bouleversé le cours de la vie »

Vivre dans mon pays est un défi que chacun apprend à surmonter et c’est pour cela que nous sommes reconnus pour être « débrouillards » et « résilients ». Il y a un avant et un après l’explosion, cet évènement qui a bouleversé le cours de la vie. La goutte qui a fait déborder un vase déjà bien rempli avec la crise économique et la violence causées par la corruption. Cela ne laisse aux jeunes que l’espoir de partir pour un jour revenir et changer le cours des choses qui, pour le moment, continuent leur chute. Malheureusement, l’état de notre pays ne pousse pas les étudiants à se surpasser mais seulement à survivre. C’est pour ça que la jeunesse tend à poursuivre ses rêves ailleurs, là où il y aurait la moindre chance qu’ils se réalisent. Ce rêve, notamment, d’un Liban incorruptible, développé et apprécié de son peuple. Changer le Liban, tout comme y être étudiante aujourd’hui, ne sont pas des choses faciles, mais ce sont deux ambitions réalisables. »

Retrouvez TIA et RITA sur Destination Francophonie

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