L’incroyable histoire de l’accord des nombres

Posté le par le français dans le monde

Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre revue a décidé de mettre chaque jour en ligne, depuis le 20 mars – journée de célébration de la francophonie – et tous les jours à midi, un article du « Français dans le monde » en libre accès. Aujourd’hui, la rubrique MNEMO d’Adrien Payet et son Incroyable histoire de l’accord des nombres, avec une illustration de Lamisseb, à retrouver dans le numéro 421 de janvier-février 2019. Avec deux téléchargements en fin d’article : la fiche pédagogique et l’audio. Bonne lecture à toutes et tous !

Qui ne s’est jamais demandé pourquoi l’accord des nombres était si compliqué en français ?! Tout est la faute d’une histoire d’amour qui a mal tourné ! Il faut dire la vérité, les chiffres et les lettres cohabitent, mais ne s’entendent pas très bien. Il y a le clan des littéraires (les lettres) et celui des mathématiciens (les chiffres), deux mondes difficiles à réconcilier… Tels Roméo et Juliette, le chiffre 5 et la lettre S sont malgré tout tombés amoureux.

– On se ressemble, tu veux être mon amie ? dit le chiffre 5
– Oui c’est d’accord, répond la lettre S
– Tu es une lettre magnifique.
– C’est gentil…
– Oui j’aime tes formes arrondies, c’est tellement sensuel !
– Ah bon ? Heu… merci, rougit la lettre S.
– Et tu es tellement utile ! Grace à toi, le pluriel existe. Je ne pourrais pas exister sans toi !!!

S et 5 ont vécu une belle histoire d’amour. Mais un jour 5 trompe S avec une lettre voisine. S, folle de colère, décide de ne plus apparaître derrière un chiffre à l’intérieur des nombres. C’est pourquoi aujourd’hui encore « cent » ne prend pas de « s » quand il est suivi d’un nombre. Cette décision risquait de compliquer la langue française. La lettre S est convoquée chez le Grand Ordonnateur.

– S, je sais que vous vivez un moment difficile avec cette séparation, mais s’il vous plaît faites un effort !
– Un effort ! Pour les nombres ?! Oh ça non ! Je les déteste !

S se met à pleurer à chaudes larmes.

– Je l’aimais. Ah ça oui, je l’aimais ce chiffre 5. Je l’aimais tellement… Et il m’a quitté pour ma voisine, le traître !
– Vous êtes en train de créer un incident diplomatique ! Regardez dehors !

Sur la place des milliers de chiffres manifestent. « Trahison ! Trahison ! Mort au S ! Les nombres et les chiffres d’abord ! »

– Vous entendez ?, dit le Grand Ordonnateur à S. Il faut faire quelque chose…
– Je veux bien marquer le pluriel de cent par exemple, même de million ou de milliard, mais uniquement s’il n’y a pas de nombre derrière. Je refuse d’être suivie par un nombre.
– Et pour mille ?
– Je ne crois pas qu’il acceptera.
– Ah bon ? Et pourquoi ça ?
– Mille me déteste. Il voudra rester invariable.
– Attendez une seconde, on va voir.

Le grand Ordonnateur appelle le Banquier, le chef des nombres. Après une longue conversation il raccroche et regarde S avec tristesse.

– Vous avez raison, mille veut rester invariable. Il refuse de vous voir.
– Je le savais…
– La situation est grave. Je crains des violences. Je vais faire appel à des tirets pour séparer les nombres entre eux. On écrira mille-deux-cent-trente-six, c’est plus prudent.

C’est ainsi que les tirets sont apparus entre les nombres. Aujourd’hui la situation est apaisée, mais on continue à les utiliser. S se lève pour partir mais le Grand Ordonnateur la retient.

– S, je respecte votre choix.
– Merci, Monsieur.
– Mais je vous demande quelque chose. Vous devrez continuer à marquer le pluriel du nombre « vingt » dans quatre-vingts. C’est une tradition qui nous vient du Moyen Âge, nous ne pouvons pas l’arrêter pour une peine de cœur.
– Du Moyen Âge, vous dites ?
– Oui, à cette époque on comptait 20 par 20. On disait « un vingt », « deux vingts », « trois vingts » et « quatre vingts ». On n’a gardé de cette façon de compter que le quatre-vingts et c’est pourquoi vous devez faire l’accord.
– Oui, je veux bien marquer le pluriel, mais uniquement de quatre-vingts. Pour les nombres qui suivent, 81, 82, 83, etc., je ne veux pas apparaître car ils sont suivis d’un chiffre. Une promesse, c’est une promesse !!!
– Vous avez un sacré caractère vous, mais c’est d’accord !

Et c’est ainsi qu’on décida la règle de l’accord des nombres. S et 5 ne se sont jamais réconciliés, mais les chiffres et les lettres eux, s’apprécient davantage. Ils participent même ensemble à des émissions télévisées ! Comme quoi, tout peut changer !

 

Astuces mnémotechniques :

1. Cent s’accorde uniquement s’il n’est pas suivi d’un chiffre. S déteste les chiffres.
Exemples : deux-cents / deux-cent-six.

2. Mille est toujours invariable. Il refuse de voir « S ».
Exemple : douze mille.

3. Vingt s’écrit avec un « s » uniquement dans quatre-vingts. C’est (réellement !) une tradition du Moyen Âge. Exemple : quatre-vingts / quatre-vingt-trois.

4. Le trait d’union se place entre tous les mots composant le nombre (réforme de l’orthographe de 1990. Sans cela, on en met seulement entre les dizaines et les unités). C’est pour éviter les bagarres ! Exemple : Quatre-millions-cent-trente-sept-mille-trois-cent-dix-neuf.

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Un commentaire
  1. Adorable, cette histoire. En plus, elle est amusante.
    J´aime bien cette idée d´utiliser le récit pour faire apprendre un peu des règles difficiles de la grammaire française pour un étudiant étranger.
    Je veux bien savoir ce que me diront les étudiants universitaires lorsque je les fairai lire cette drôle d´histoire dans ma salle de classe.

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