Un Master pour former et intégrer par la langue

Posté le par le français dans le monde

Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre revue a décidé de mettre chaque jour en ligne, depuis le 20 mars – journée de célébration de la francophonie – et tous les jours à midi, un article du « Français dans le monde » en libre accès. Aujourd’hui, la rubrique FLE EN FRANCE du numéro 427 de janvier-février 2020. Un article en grande partie consacré à la médiation culturelle auprès des migrants de Lesbos, en Grèce, précédé par un appel à solidarité pour ces réfugiés.

Le groupe RAD de thérapie culturelle auprès des réfugiés à Lesbos, en Grèce, tire la sonnette d’alarme au sujet des conditions de vie et des dangers du covid 19 dans le camp surpeuplé de Moria.
Une plateforme d’aide financière participative est ouverte en ligne.
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Agnès Barad-Matrahji a suivi le Master à distance « Pratiques et ingénierie de la formation – Former et intégrer par la langue (FIL) » de l’Université de Cergy-Pontoise. Elle témoigne des apports multiples de cette formation, notamment dans le cadre de l’aide culturelle qu’elle propose aujourd’hui aux migrants.

Agnès Barad-Matrahji est ingénieure de formation pédagogique, professeure de français-conceptrice FLE-FLI et médiatrice culturelle à Lesbos (Grèce).

Pour moi qui avais une formation en français langue étrangère et une longue expérience des cours auprès d’un public scolaire et universitaire grec – j’ai enseigné au Lycée franco-hellénique d’Athènes –, il s’agissait de renouveler mes pratiques professionnelles et cela surtout parce que je voulais m’investir auprès des migrants. Je devais d’ailleurs assurer des cours d’été à l’Université de Genève dans un programme qui leur était destiné.

Comment parvenir à défendre les droits culturels de ces personnes déplacées ?

Mais comment acquérir une formation universitaire alors que je réside à l’étranger ? Comment obtenir cet enseignement qui me professionnalisera dans l’apprentissage du français pour les migrants et me spécialisera dans le français langue d’intégration (FLI) ? Comment suivre des cours alors que je suis médiatrice culturelle dans le camp des réfugiés de Moria, à Lesbos, en Grèce ? Comment, enfin, parvenir à défendre les droits culturels de ces personnes déplacées ?

Les questions étaient nombreuses, les besoins urgents. J’avais rencontré et entendu la jeune réfugiée syrienne Yusra Mardini (nageuse et ambassadrice Unesco) : elle disait qu’il est facile de donner des couvertures et de la nourriture aux réfugiés, mais qu’en est-il de la nourriture de l’esprit ? Les migrants ont aussi besoin d’éducation et de culture. Pour me lancer dans le FLI par le biais de la culture, il me fallait une solide formation.

« Rencontré dans le camp de Moria, à Lesbos, ce jeune migrant a sur la peau et dans le cœur une passion indéfectible pour la langue française. »

Cette formation, je l’ai obtenue dans le Master « Pratiques et ingénierie de la formation. Former et intégrer par la langue ». Une formation que je pouvais faire à distance : sans me déplacer, j’allais renouveler mes compétences, accéder aux nouveautés de la recherche didactique et pouvoir construire de nouvelles pratiques. Grâce à la plateforme d’enseignement de l’Université de Cergy-Pontoise, j’entrais virtuellement dans des salles de cours pour en suivre de bien réels, j’avais la possibilité d’avoir des échanges entre formateurs et étudiants aux quatre coins de la planète. Un biais informatique fédérateur !

Les lieux de culture comme vecteurs d’intégration
De plus, j’allais suivre un module qui répondait à mes aspirations : « Aborder les lieux de culture et développer une curiosité culturelle », de Florence Bray (voir témoignages ci-dessous), qui allait aussi assurer la supervision de mon mémoire. J’allais travailler sur des problématiques qui m’intéressent : les lieux de culture comme vecteurs d’intégration. C’est ainsi que mon mémoire a porté sur une problématique concrète : « En quoi les échanges interculturels peuvent-ils favoriser la motivation des migrants dans l’apprentissage d’une langue et leur intégration dans une société ? » Concrète, parce que j’avais fait des médiations dans un espace muséal, le musée Tériade à Lesbos, en Grèce, où j’avais mis des femmes réfugiées (afghanes, syriennes, africaines) ainsi que des mineurs non accompagnés en contact avec des œuvres écrites en français et des œuvres picturales de Matisse, Chagall, Picasso afin de permettre un dialogue interculturel. Grâce à la formation que j’avais reçue, j’ai pu développer un processus d’acculturation de la langue française et d’intégration sociale dans une perspective co-actionnelle et co-culturelle qui favorise la motivation de l’apprentissage d’une langue-culture. C’est ainsi que pendant la formation, j’ai élaboré une séquence d’apprentissage sur le musée marseillais du MUCEM.

Au musée Tériade, à Lesbos.

Une méthode de FLI
Auparavant j’avais l’expérience, mais je n’avais pas le professionnalisme que m’a apporté la formation du Master FLI. Bien entendu, les cours m’ont confortée dans mes acquis mais surtout les ont mis à jour et m’ont apporté un grand renouvellement. J’allais varier mes démarches pédagogiques. J’ai ainsi appris à développer l’autonomie de l’apprentissage, la place de la réflexion des apprenants sur leur plurilinguisme, les moyens les plus efficaces pour tirer profit de l’apprentissage. Dans mes démarches désormais plurielles, les apprenants allaient être plus impliqués. Comme j’avais ressenti le besoin d’aller au-delà de ce que je faisais auparavant, de porter une mission culturelle de médiation dans l’accès à la langue, je me sentais très enthousiaste après la formation.

Enthousiasme que j’ai conservé depuis l’obtention du master, il y a deux ans de cela, et qui m’a conduite à la conception d’un livre d’apprentissage de la langue française pour les migrants, intitulé Le français jour après jour, qui sera édité en 2020. Cette méthode est à la confluence de tout ce que j’ai appris en master et de tout ce que j’ai mis en pratique avec les flux migratoires sur l’île de Lesbos. Conséquemment à ma formation FLI, elle s’inscrit dans une perspective co-actionnelle et co-culturelle qui veut doter l’apprenant d’une compétence culturelle qui va lui permettre d’exprimer sa culture d’origine, d’aborder une autre culture, de constater des convergences et des divergences entre sa culture d’origine et la nouvelle culture, de respecter les différences et de construire un nouveau « vivre et agir ensemble » dans le pays d’accueil où il vit.

Doter l’apprenant d’une compétence culturelle qui va lui permettre d’exprimer sa culture d’origine

Les clés de ce livre sont celles que Florence Bray m’a transmises : la communication, l’acculturation, la motivation, l’inclusion, la participation. J’ai achevé ce manuel avec le même enthousiasme que le mémoire professionnel pour le Master fait sous sa direction, avec la même illustration et le même remerciement. Un livre que je veux dédier à tous les migrants que j’ai rencontrés sur l’île de Lesbos, en Grèce, ceux qui y ont été secourus, ceux qui y ont péri, tous ceux qui, par la langue et la culture, iront plus forts, plus haut, plus loin que leur destin. En les re-merciant d’apprendre ma langue et d’enrichir la leur.

Pour en savoir plus : www.inspe-versailles.fr/Former-et-integrer-par-la-langue-FIL

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Témoignages

Florence Bray, ancienne responsable du Master FIL de Cergy-Pontoise
« Une mise en Perspective des Pratiques »
« L’objectif de ce master est de reconsidérer les savoirs dans un domaine souvent empreint d’affects ou de militantisme, en se recentrant sur des objets d’étude scientifiques : linguistique, ingénierie, sciences humaines. Nous voulons que celui ou celle qui le suive puisse s’inscrire dans un développement professionnel, non seulement individuel avec un diplôme à la clé mais aussi collectif, celui du métier spécifique de “Formateur FLI” qui manque encore de reconnaissance, sinon de définition officielle. D’où l’importance de la mention ingénierie, avec par exemple une option sur les partenariats et les réponses à appels d’offres.

La langue n’est plus le thème principal, cette place étant occupée par l’objectif, double : former et intégrer

Le fort ancrage culturel du master permet également de se situer dans une dimension autre qu’actionnelle et plus pragmatique. L’intégration ne doit pas par exemple se résumer à “être capable de”, mais aussi à “être assez confiant en soi pour exprimer une émotion en public”. La prise en compte de la vie sociale de l’individu « à intégrer » ne se réduit pas à une citoyenneté de conformité mais à une citoyenneté active, notamment par l’accès aux lieux de culture et de vivre ensemble. Par ailleurs, il s’agit d’éclairer cette question de l’intégration par rapport à des valeurs proprement nationales associées à la France, dont les formateurs peuvent eux-mêmes ignorer la genèse : par exemple, ils ont souvent du mal à expliquer la raison d’être des préceptes républicains qu’ils demandent aux migrants d’adopter (on pense notamment au cas-limite de la laïcité).
En somme, la valeur ajoutée que reconnaissent les étudiants et que recherchent les formateurs est une mise en perspective des pratiques, par une approche réflexive propre à tout parcours de formation d’une part, et par une non-spécialisation disciplinaire d’autre part. D’où la déclinaison de FLI en FIL, de “français langue d’intégration” à “former et intégrer par la langue”, où la langue n’est plus le thème principal, cette place étant occupée par l’objectif, double : former et intégrer. »

 

Aurélie Chauvet, formatrice et didacticienne
« Participer à l’intégration socio-professionnelle des migrants »
« Après du bénévolat associatif dans le FLI, j’ai décidé de me professionnaliser dans ce domaine, et j’ai suivi les Master 1 et 2 FIL de 2017 à 2019. J’ai travaillé dès 2018 dans des organismes de formation, auprès d’adultes en formation linguistique et professionnelle. Les enseignements du Master, à la fois pointus et proches des enjeux du terrain, m’ont permis d’aborder avec sérénité ma reconversion professionnelle. Au quotidien, je forme des groupes d’adultes de niveaux hétérogènes, A1 à B2. Leurs langues premières sont différentes, leurs parcours de vie et d’apprentissage très variés. Un des enjeux pour moi est de faire émerger parmi les apprenants des sous-groupes de besoins similaires.

Le projet de vie de ces adultes migrants est de s’installer durablement en France.

Mon métier consiste également à participer à l’intégration socio-professionnelle des adultes migrants. Leur projet de vie est de s’installer durablement en France. Ils peuvent ainsi avoir besoin d’un accompagnement concernant les techniques de recherche d’emploi, la scolarité de leurs enfants, ou encore l’accès aux soins ou au logement. C’est cette grande diversité de personnes, avec un même objectif de s’établir en France, qui me plaît dans ce métier. »

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