Philomène, la musique de la langue

Posté le par le français dans le monde

Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre revue a décidé de mettre chaque jour en ligne, depuis le 20 mars – journée de célébration de la francophonie – et tous les jours à midi, un article du « Français dans le monde » en libre accès. Aujourd’hui, la VIE DE PROF de Philomène RUST, prof de français et musicienne en Afrique du Sud. Un article à retrouver dans le numéro 421 de janvier-février 2019.


Originaire de Pretoria, en Afrique du Sud, Willemien est devenue Philomène dans sa vie de prof de français. Une double identité qui s’épanouie aujourd’hui à travers la musique et la chanson en français, comme compositrice et interprète.

 

(c) Adam Heyns

J’ai commencé à apprendre le français au lycée en Afrique du Sud. Les langues me fascinaient depuis mon plus jeune âge. Je parle afrikaans (ma langue maternelle), anglais, français, un peu d’allemand et de sesotho. Le contraste entre les sons plutôt rudes (ou tout simplement expressifs !) de l’afrikaans et la sonorité musicale de la langue française m’intriguait depuis longtemps maintenant, comme je l’écris dans une de mes chansons : « Deux langues, étroitement entrelacées / Deux bandes sonores se recoupent / Le “r” impénétrable de l’Afrikaans rencontre le “r” malléable / C’est entre la littérature et la culture où résident mes deux langues de cœur. »

Et puis, je voulais aussi découvrir l’art, la littérature, les films et la gastronomie françaises. J’étais curieuse de visiter les beaux paysages dans le pays dont mes professeurs de français m’avaient parlé. De ce fait, j’ai beaucoup voyagé en France notamment grâce à des bourses d’études, comme en 2011 au Cavilam de Vichy, ou en 2015 quand je suis restée près de 4 mois à l’Université de Touraine, à Tours. Cet été, je suis aussi allée à l’université d’été de Francophonia, à Nice : ce fut une expérience formidable que j’espère renouveler l’an prochain. J’ai toujours des projets pour revoir ce pays qui ne cesse de m’étonner !

 

Arc-en-ciel et bleu-blanc-rouge

Le français est très aimé en Afrique du Sud. Chaque personne l’apprend pour différentes raisons. Pour la plupart, le français est une langue internationale qui ouvre des perspectives commerciales. Et puis les pays francophones en Afrique de l’Ouest et les îles francophones (Maurice, la Réunion) sont près de nous géographiquement, alors même qu’il est plus pratique de travailler en français qu’auparavant. Je suis personnellement passionnée par la francophonie car elle me rappelle la notion sud-africaine de la nation arc-en-ciel. C’est l’une des raisons principales pour laquelle je suis toujours impliquée dans l’enseignement du français : je me sens vraiment chez moi au sein de la francophonie où nous célébrons la diversité culturelle de tous ses membres de famille.

Et puis, la langue française a ici des racines historiques : un petit groupe d’huguenots (des calvinistes) avaient quitté la France pour échapper aux persécutions après la révocation de l’édit de Nantes en 1685 et se sont installés en Afrique du Sud. Aujourd’hui 20 % des Afrikaners portent des noms français : du Toit, Du Plessis, de Villiers, De Klerk (Leclerc), Viljoen (Villon), Retief (Retif), etc. Les fermes près du Cap ont également conservé leurs noms d’origine comme La Motte, L’Ormarin (pour Lourmarin), La Brie, Chamonix, etc. La petite ville de Franschhoek (le « coin des Français ») représente la façon dont les huguenots ont joué un rôle important dans la création de l’âme afrikaner, malgré le fait que parmi les 16 000 habitants personne ne parle le français ! La persistance de la tradition religieuse montre aussi l’influence marquante qu’a eue la liturgie protestante des huguenots sur les Sud-Africains.

« C’est bien la chanson française, puis la chanson francophone qui m’ont le plus fascinée au cours des années. La génération de mes parents appréciait Piaf, Aznavour, Brel, etc., alors que moi et mes copines nous sommes d’abord tombées amoureuses de Carla Bruni et ses contemporains. »

Concert intime au Cap, avec les musiciens Adelle Nqeto, James Robb & Pieter Bezuidenhout (2017).

La passion de la chanson

J’ai fait mes études à l’Université de Pretoria, où j’ai été prof de FLE pendant 6 ans. Au départ j’ai donné des cours de langue et de littérature aux petits niveaux, avant de développer en Master un programme d’« Expression créative » avec les étudiants de niveau A2. En classe, les étudiants écoutent des chansons françaises et francophones, ils étudient les paroles des chansons et s’en inspirent dans le but de rédiger leurs propres textes et chansons en français.

C’est bien la chanson française, puis la chanson francophone qui m’ont le plus fascinée au cours des années. La génération de mes parents appréciait Piaf, Aznavour, Brel, etc., alors que moi et mes copines nous sommes d’abord tombées amoureuses de Carla Bruni et ses contemporains. Ça fait un peu cliché maintenant mais j’avoue que c’était la première chanson française que je voulais absolument apprendre à jouer à la guitare ! Et peu de temps après je commençais moi-même à composer des chansons en français – d’abord à la guitare et après au piano. Mes chanteurs/chanteuses français et francophones favoris sont Françoise Hardy, Emily Loizeau, Serge Gainsbourg, Noir Désir, Les Innocents, Benjamin Biolay, Tiken Jah Fakoly, Amadou & Mariam, Grèn Sémé.

Je suis très reconnaissante envers l’ambassade de France qui soutient tous mes projets, comme réaliser des vidéos professionnelles avec les étudiants. « Étudiant à l’université de la vie » (2012) est la première chanson que j’ai composée avec mes 2e année. Nous nous sommes basés sur la chanson « Africain à Paris » de Fakoly, qui s’est lui-même inspiré d’« Englishman in New York » de Sting. Comme eux, notre chanson traite des questions identitaires. Dans « Enracinée en moi » (2013), nous comparons l’apprentissage de la langue française à la vie de couple : apprendre le français est comme apprendre à aimer quelqu’un… « Belle rêverie jaune clair » (2015) est une sorte d’interprétation moderne de la chanson « La vie en rose » d’Édith Piaf.

En 2016 j’ai aussi participé au projet international « La Caravane des dix mots » avec une belle équipe sud-africaine. Une des expériences les plus enrichissantes que j’ai jamais eues ! C’était fascinant de réaliser un projet créatif sur un territoire où le français n’est pas langue officielle (comme en Afrique du Sud) mais aussi de le partager sur une scène internationale. Et c’était incroyable d’être réunis avec d’autres francophiles et francophones à Antananarivo, à Madagascar, lors du Sommet international de la Francophonie qui s’y est déroulé, et d’animer des ateliers de musique avec des locaux. On peut retrouver l’un de ces projets « De fada a lumerotte, l’Afrique du Sud en croissance polyglotte » sur YouTube.

« Grâce au français, j’ai une double identité. On est une personne différente quand on parle une langue étrangère, je ne suis plus vraiment 100 % Willemien. Avec Philomène, mon alter ego francophone, les deux identités se chevauchent »

Lancement du court-métrage « Parler sud-africain », réalisé dans le cadre de la Caravane des dix mots à l’Alliance française de Pretoria, en 2016.

En route vers « Francofonix »

À la fin de 2016, j’ai opéré un virage artistique qui était un saut dans l’inconnu. Et c’est toujours un pari ! C’est-à-dire que je n’enseigne plus à plein temps : je donne seulement des cours d’écriture créative dans les écoles ou les universités sur invitation, et le reste du temps je fais des concerts intimes un peu partout en Afrique du Sud. Dans la plupart des cas, les concerts ont lieu dans des restaurants et au cours d’évènements où le public apprécie la musique française et francophone. J’ai enfin le temps de composer plus de chansons en français et en afrikaans, ce qui me plaît énormément. Je reprendrai mon activité de professeure à l’Université plus tard dans ma vie ! Et en 2019, je vais consacrer beaucoup de temps à mon nouveau projet musical : « Francofonix » : découvrir la francophonie à travers la musique. Moi et d’autres musiciens passons dans les écoles et les lycées où le français est étudié et donnons un concert afin de faire découvrir aux élèves la francophonie à travers la musique. Durant le concert, il y a des animations projetées qui ont pour but d’aider les apprenants à mieux saisir le contenu des chansons. Et après le concert, j’anime des ateliers d’écriture créative. Les activités exploitées en classe reviennent sur les thèmes élaborés dans les chansons choisies.

Grâce au français, j’ai une double identité. On est une personne différente quand on parle une langue étrangère, je ne suis plus vraiment 100 % Willemien. Avec Philomène, mon alter ego francophone, les deux identités se chevauchent. Au début ça pouvait être frustrant de ne pas pouvoir complètement exprimer les mêmes traits de caractère, notamment pour l’humour, toujours compliqué dans une langue qui n’est pas maternelle. Mais avec le temps mes deux identités se rejoignent et aujourd’hui Willemien et Philomène forment à peu près la même personne (rires).

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Retrouvez les vidéos des chansons de Philomène sur son site : www.philomien.co.za

Tournage du clip « Enracinée en moi » avec mes 2e année à l’Université de Pretoria (2013).

 

 

 

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