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Salutations et malentendus

Posté le par admin

Par Laurence Arrighi et Annette Boudreau, Université de Moncton

Les locuteurs de la francophonie n’usent pas des mêmes formules pour exprimer les salutations d’usage ce qui peut créer des malentendus pratiques et «idéologiques». Nous nous pencherons ici sur les salutations les plus couramment utilisées au Canada et qui étonnent parfois les francophones d’ailleurs. Il est bien entendu que les formules mises de l’avant ne sont pas les seules en usage et que les locuteurs peuvent aussi bien user des formules les plus courantes ou communes à l’ensemble de la francophonie.

Les francophones qui arrivent pour la première fois au Canada peuvent être surpris lorsque qu’ils rencontrent une personne qui leur dit «allô»1 au lieu de «bonjour»; en effet, la formulation n’est pas restreinte aux appels téléphoniques et est avec «salut», la salutation la plus fréquente entre les francophones du Canada; «bonjour» peut sembler plus formel et plus distant. Il est aussi fréquent que les francophones répondent «bienvenue» à la place de «il n’y a pas de quoi» ou «de rien» à la suite des remerciements. Le locuteur étranger aux habitudes canadiennes peut se demander pourquoi on lui souhaite la bienvenue alors que l’on vient de répondre à son «merci». Si l’on connaît l’anglais, il est fort probable que l’on établisse le lien avec la formule américaine «You’re welcome» après «thank you», et il est possible que l’on conclue trop rapidement à un indice montrant l’assimilation, voire l’acculturation des Canadiens français à la langue anglaise.

Or l’usage est toujours lié à l’histoire socio-politique dans laquelle évoluent les locuteurs et dans le cas qui nous concerne ici, «l’américanité» des francophones est souvent occultée, voir niée. Les francophones qui vivent en Amérique du Nord ont un mode de vie plutôt américain et adoptent les styles et les manières des Américains même si leur imaginaire a été façonné par des représentations voulant qu’ils soient des «cousins» des Français. Cet imaginaire construit dans les différents discours (tant médiatiques que savants) a fait en sorte que l’on a souvent confondu langue et culture françaises dans un amalgame qui a fait fi des différences. Si les francophones partagent à peu près les mêmes pratiques avec des variations marquées selon les différentes histoires qui les constituent, ils ne partagent pas forcément la même culture. Cela semble une évidence, mais il reste que l’idéologie du français unique voulant que les francophones parlent le français partout de la même façon reste très ancrée dans les mentalités même si le discours sur la diversité est maintenant répandu et même prisé. Il y a pourtant loin de la coupe aux lèvres. L’acceptation de la différence en matière de français reste davantage un élément discursif qu’un fait réel.

Un autre élément lié à la salutation qui crée de la confusion voire des malentendus est l’usage généralisé du tutoiement chez les francophones canadiens et qui là aussi tient ses sources de son américanité. Son usage, fréquent et régulier, même dans les situations formelles de communication n’est pas rattaché ici à l’impolitesse ou à la rudesse. Pourtant le tutoiement est souvent jugé à l’aune des normes européennes et dans les interactions, il peut avoir comme conséquence de provoquer des commentaires ou des jugements qui sont sources de tensions et qui peuvent faire en sorte que les francophones vivant en Amérique ne se considèrent pas comme de «vrais francophones». Ils peuvent se sentir exclus de la francophonie. Pourtant, cette dernière est composée de locuteurs provenant des différents continents avec des histoires particulières qui expliquent les différences linguistiques et culturelles qui les constituent. La prise en compte de ces différences permet d’amoindrir les malentendus et d’agir sur les représentations qui découlent d’idéologies linguistiques qui masquent les différences.

1- Allô est employé seul ou avec substantif : «Allô Sylvie».

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