banniere single

Bruxelles, ma belle, tu nous rejoins… bientôt ?

Posté le par admin

Par Geneviève Briet

Bruxelles a suscité quatre chansons éponymes, interprétées par Jacques Brel, Dick Annegarn, Bénabar et Marie Warnant.

C’est beaucoup moins que Paris, qui  en a inspiré plus d’une centaine. En revanche, Bruxelles a donné lieu à  « bruxellait », mais aussi à « bruxellisation », puis « abruxellation ». Depuis quelque temps, le terme « bruxellisation »  possède une seconde acception.

Pour couper court à tout malentendu de prononciation, précisons d’emblée que la lettre « x » dans tous ces termes se prononce [s], comme dans « six », « Auxerre », ou comme dans l’album Brüsel de François Schuiten.Jacques Brel évoque dans Bruxelles le bon temps d’autrefois vécu par ses grands-parents dans la capitale belge.  Il y crée un néologisme, « C’était au temps où Bruxelles bruxellait », dont on retrouve des occurrences récentes pour signifier la belle époque, plutôt que la Belle Epoque : « ça Bruxellait tonique à Bruxelles le 6 juin dernier»[1]. « Bruxellait » serait synonyme de « prenait du bon temps ».

La chanson de Brel date de 1962. Apparait à peu près au même moment un nouveau terme dérivé de Bruxelles : la « bruxellisation ». Celui-ci n’est cependant pas connoté positivement comme le premier, même s’il est une conséquence de l’organisation à Bruxelles de l’Exposition universelle de 1958, où l’on implante le Pavillon du Bonheur. Les enjeux sont importants pour la Belgique et pour l’Europe en train de naitre. Bruxelles devient l’une des capitales de l’Union européenne. Une frénésie de grands travaux saisit la ville pour cette occasion : tunnels, viaducs, routes à cinq voies, tout est détruit et reconstruit en fonction de la circulation automobile. Cette vision fonctionnaliste engendre un chaos urbanistique et un démaillage du tissu social. Voilà pourquoi la « bruxellisation  », dérivé de Bruxelles et du suffixe –isation est un terme urbanistique malheureusement connu des architectes du monde entier.

Ce terme connait maintenant un nouveau sens, dont on trouve la trace dans le journal Le Devoir[2]. Il y est synonyme de « francisation ». Néologisme de sens ou emploi métaphorique, une « dégradation de l’environnement linguistique provoquée par le laxisme des autorités publiques[3] » ?

À la fin du XIXe siècle, Bruxelles était flamande. Un siècle plus tard, le néerlandais n’y est plus la langue maternelle que de moins de 10 % de sa population. Même si le pays comptait  à sa création 60 % de Flamands, le néerlandais fut banni de l’administration publique et le français y sera longtemps la seule langue officielle, celle de l’élite, au Nord comme au Sud du pays. Majoritairement néerlandophone, située en terre flamande, la capitale du nouvel état belge attire des Wallons et des Flamands qui adopteront le français pour travailler dans l’administration.

Mais la poussée du nationalisme flamand a paradoxalement été la cause de l’évaporation du néerlandais à Bruxelles. La Belgique s’organise au début du XXe siècle en trois régions linguistiques : la Flandre néerlandaise, la  Wallonie française et Bruxelles, qui devient officiellement bilingue. Dans le contexte de l’époque où le français est considéré comme une langue universelle d’avenir, les néerlandophones inscrivent leurs enfants dans les écoles francophones. « Avec le néerlandais, on s’enfermait dans sa région.[4]»

L’implantation de nombreuses institutions européennes ou internationales et l’arrivée d’immigrants ont encore favorisé la francisation de Bruxelles[5]. L’urbanisation croissante de sa périphérie entraine la création en 1962 de « facilités » bilingues dans six communes flamandes limitrophes. Cette expansion se poursuit. Le coût des loyers de Bruxelles  incite à s’établir en Flandre, où les maisons sont moins chères. Par ailleurs, de nombreux francophones de Bruxelles et de Wallonie inscrivent leurs enfants  dans l’enseignement flamand pour en faire de parfaits bilingues. La ville flamande d’Aalst (Alost), située à une trentaine de kilomètres de Bruxelles, compte désormais trop d’élèves francophones dans l’enseignement primaire et secondaire. A un tel point que « certains Flamands redoutent la bruxellisation de la périphérie [6]».

Bruxelles, ville où l’on s’amusait jadis, désormais ville francophone chaotique, suscite des sentiments exacerbés. En 2000, le plasticien Juan d’Oultremont propose un projet pour la ville, capitale européenne de la culture. Il s’agit de faire entrer dans le domaine public le terme « abruxellation», qui désigne les rapports amour/haine que l’on entretient avec Bruxelles. Des artistes, des écrivains et des journalistes ont été invités à utiliser ce néologisme durant cette année[7]. Le terme, onze ans après, ne semble pas perdurer.

« Bruxelles, ma belle, je te rejoins bientôt », chante Dick Annegarn. Laissons le dernier mot à Marie Warnant : « En capitale, la ville se Cambre devant moi […]  Bruxelles est femme, femelle, androgyne ou bien mâle […] Bruxelles se révèle … »


[1] http://fsimpere.over-blog.com/article-ca-bruxellait-tonique-avec-polyamour-be-et-bruxelles-laique-77580810.html, article posté le 23 juin 2011.

[2] Christian Rioux, 11 juin 2010 : « La bruxellisation de… Bruxelles ! », Le Devoir.

[3] Calque de la définition de « bruxellisation » donnée par http://fr.wiktionary.org/wiki/bruxellisation, consulté le 27/11/2011.

[4] Paul de Ridder, in Christian Rioux, « La bruxellisation de… Bruxelles ! » (11 juin 2010) : Le Devoir:

[5] Les résidents d’origine non-européenne forment le tiers de la population bruxelloise (Philippe Van Parijs . 3 mai 2007. « Bruxelles capitale de l’Europe : les nouveaux défis linguistiques », Brussels Studies, numéro 6.

[6] Stefaan Meerbergen, journaliste à la VRT (Radio belge flamande), éditorialiste à la radio belge francophone (18/11/2011) : Vu de Flandre.

[7] Stéphane Malandrin, Libération (17/04/2000) : « Bruxelles, à mots ouverts. Quand une cité se raconte à travers les conversations anonymes de ceux qui la peuplent. »

Aucun commentaire

Laisser un commentaire