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Le français au Nouveau-Brunswick : un statut à célébrer ou une cause à revendiquer ?

Posté le par admin

En février 1971, un groupe essentiellement composé d’étudiants de la toute jeune Université de Moncton, première université francophone à l’extérieur du Québec, défilait dans les rues de Moncton. Deux ans après l’instauration du bilinguisme officiel au Nouveau-Brunswick, on revendiquait une meilleure reconnaissance du fait francophone dans la province. À l’époque, des représentants de ce groupe eurent du mal à se faire recevoir à l’hôtel de ville et ils durent s’adresser en anglais à un conseil municipal qui a priori n’entendait rien à l’idée de bilinguisme officiel et semblait peu à même de reconnaître à l’autre communauté linguistique de la province un quelconque droit d’existence publique. Les faits ont connu un certain retentissement notamment parce qu’ils furent filmés et constituèrent les scènes initiales du documentaire de Pierre Perreaut et de Michel Brault, L’Acadie, L’Acadie1. Ce fut aussi l’une des premières fois que les Acadiens revendiquaient aussi publiquement des droits pour leur langue dans la ville de Moncton.

Le 16 octobre 2010 une marche pour l’égalité linguistique fut organisée dans les rues de la même ville. L’initiative a connu un succès certain, son objectif déclaré : célébrer le bilinguisme et l’égalité linguistique des communautés anglophones et francophones au Nouveau-Brunswick

Après presque 40 ans de bilinguisme officiel, en est-on à l’heure des célébrations ou encore au stade des revendications ? Cet événement nous fournit un bon mobile pour proposer non seulement le bilan d’un exemple de politique linguistique pas toujours accompagnée d’aménagements mais aussi une petite réflexion sur l’une des stratégies acadiennes en matière d’avancement du français.

Rappelons tout d’abord que le Nouveau-Brunswick présente une réalité linguistique particulière. Les Acadiens constituent un tiers de la population et forment en termes de pourcentage la plus grande des minorités linguistiques au Canada. S’ils furent les premiers Européens à s’installer (dès 1604) dans ce qui deviendra bien plus tard le Canada, leur égalité linguistique face à la communauté anglophone n’est inscrite dans une loi provinciale que depuis 1981. Le principe de la dualité linguistique, seul à même de garantir une égalité réelle à une minorité, est au moins reconnu dans les secteurs de l’éducation, de la culture et de la santé. Au niveau des municipalités, la ville de Moncton s’est déclarée officiellement bilingue en 2002 et plusieurs autres communes discutent, voire acceptent, de légiférer en matière de langues d’affichage. Enfin en 2012, une révision de la loi sur les langues officielles est programmée et les Acadiens sauront encore une fois faire entendre leur voix.

Le Nouveau-Brunswick est-il pour autant l’un des rares exemples de coexistence vraiment réussie des deux langues officielles au Canada ? Dans les faits, d’innombrables petits écueils jalonnent encore trop souvent la possibilité de vivre pleinement en français dans la province. Le bilinguisme et l’égalité sont bien plus performatifs qu’effectifs puisque c’est essentiellement au niveau de l’aménagement que la politique linguistique néo-brunswickoise échoue encore. Régulièrement les termes de la loi tardent à se manifester dans les faits et la situation linguistique est assurément asymétrique voire diglossique. Alors pourquoi célébrer quelque chose qui n’est pas encore advenu plutôt que de le revendiquer ? Sans doute y a-t-il dans cette attitude un message envoyé au reste du Canada, Québec compris. Le restant du pays nous regarde aller en effet avec un certain scepticisme. Bien des médias anglophones répercutent trop souvent les demandes des Acadiens comme des menaces de séparatisme ; quant aux Québécois ils aiment un peu trop complaisamment, même si des critiques se justifient, mettre le doigt sur les ratés de l’expérience linguistique néo-brunswickoise. Sous les critiques et les ratés, les francophones d’Acadie célèbrent quand même le bilinguisme et l’égalité des communautés linguistiques… Qu’on ne s’y trompe pas : les Acadiens sont pleinement conscients de l’inégalité réelle qui est encore de mise. Au sein de la province, c’est bien eux qui portent à bout de bras le « fardeau du bilinguisme ». Par le même temps, il faut reconnaître néanmoins qu’ils ont su montrer qu’une autre francophonie est possible et viable au sein d’un continent anglophone.

Laurence Arrighi et Annette Boudreau, Université de Moncton

1. Perreaut, Pierre et Brault, Michel, (1971) L’Acadie, L’Acadie, film documentaire, Office national du film (117 m. 51 s.), à visionner en ligne sur http://www.onf.ca

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