Vasiliqi Kume – « L’apprentissage d’une langue étrangère est un long voyage »

Posté le par le français dans le monde

Jeune Albanaise de 25 ans, brillante élève de français tout au long de sa scolarité, Vasiliqi Kume partage aujourd’hui sa passion de la langue et de la culture française au sein de la section bilingue du lycée Raqi Qirinxhi de Korça, l’une des quelque 500 filières francophones labellisées LabelFrancEducation. Elle est aussi responsable des cours à l’Alliance française.

Il arrive dans la vie que le hasard fasse bien les choses – même si c’est nous, au fond, qui créons notre propre destin. Depuis la rentrée de septembre, je suis professeure de français au sein de la section bilingue du lycée français Raqi Qirinxhi de Korça (ou Korçë en albanais) où j’ai fait mes études secondaires et commencé à rêver de devenir un jour, moi aussi, enseignante.

Korça, c’est le « petit Paris » d’Albanie, qui a été République autonome sous la protection de la France entre 1916 et 1920, et où a été créé le premier lycée français du pays, en 1917, voilà 105 ans. Et pourtant, ma rencontre avec le français, l’année de mes 10 ans, s’est jouée à peu de chose. À l’entrée au collège, c’était par tirage au sort que se faisait ici l’attribution de la première langue étrangère : deux classes sur trois apprennent l’anglais, l’autre le français. Je n’avais pas d’a priori et contrairement à beaucoup d’autres parents qui avaient une préférence pour l’anglais, les miens n’en avaient pas non plus : ils ne parlaient de toute façon aucune des deux langues.

Découvrir le monde en français

Je suis tout de suite tombée amoureuse du français, et cet amour n’a jamais fléchi. J’aurais pu apprendre l’anglais en parallèle, avec ma soeur qui prenait des cours particuliers, mais j’ai refusé. C’est peut-être parce que tout le monde voulait l’anglais que moi je voulais absolument le français ! La dernière année du collège, en 2012, nous avons fait un échange avec le collège Claude-Debussy de Saint-Germain-en-Laye, dans la banlieue parisienne, et ce premier séjour de dix jours en France a été évidemment très marquant. Nous avons visité tous ces lieux que nous connaissions par les manuels et qui nous avaient fait rêver : la tour Eiffel bien sûr, Notre- Dame aussi. J’ai surtout découvert le mode de vie des Français, leur mentalité, leur ouverture d’esprit : je me souviens que ma correspondante m’avait demandé un jour, devant sa mère, si j’avais un petit ami – il aurait été impensable, à l’époque, d’avoir une telle conversation en présence de mes parents !

J’ai ensuite intégré la section bilingue du Lycée français de Korça. Ces années restent associées à de très nombreux voyages, aussi bien en Italie qu’en République tchèque, en Hongrie ou en Autriche, tous organisés par ma prof de français, qui était une passionnée de voyages. Mais j’ai surtout représenté l’Albanie à la première Olympiade internationale de la langue française, à Cluj-Napoca (en Roumanie), en 2015, où j’ai remporté le premier prix individuel et le deuxième prix d’équipe – j’avais travaillé avec un groupe de différentes nationalités, notamment roumaine, bulgare, macédonienne… Ces rencontres ont été extraordinaires et les deux prix m’ont donné non seulement confiance en mes capacités, mais aussi une envie formidable de continuer pour devenir enseignante et offrir à mon tour à des élèves la possibilité de voyager pour découvrir le monde à travers le français. Et c’est ce que je fais aujourd’hui, après une licence de Langue et culture françaises à l’université de Korça – où j’ai décroché la Médaille d’or académique pour récompenser le fait que je n’avais eu que des 10 –, puis un master à Tirana et Clermont-Ferrand. Six mois en France avec Erasmus ! J’en rêvais depuis si longtemps.

En octobre dernier, une de mes élèves, Krisea Ziu a été l’un des deux élèves à représenter l’Albanie au premier Forum Génération LabelFrancEducation qui s’est tenu à Varna, en Bulgarie : « Une de mes plus belles expériences de la langue française », m’a-t-elle dit, et qui me rappelle ma propre expérience à l’Olympiade. Elle a partagé sa chambre avec une Polonaise et a eu le sentiment que « dans cet environnement francophone du Forum, la distance entre les différents pays semblait diminuer ».

Aller au-delà des manuels

Dès que j’en ai la possibilité, je propose à mes élèves de participer à des concours : deux élèves ont gagné cet automne l’étape locale du Défi Inter-Alliances, la compétition culturelle en ligne des Alliances françaises. Ces concours sont un élément important de motivation pour des élèves qui travaillent dur : aux 8 heures hebdomadaires de français s’ajoutent les cours d’histoire-géographie, d’histoire des arts et de physique, qui sont également en français. J’essaie de rendre mes cours le plus vivants et ludiques possible en intégrant des chansons – et pas qu’Édith Piaf ! –, des vidéos, des projets artistiques, mais il est toujours nécessaire d’apprendre la grammaire et la conjugaison, et on n’échappe pas à des exercices très mécaniques, d’autant que je les prépare pour le DELF B2 que les élèves ont la possibilité de passer à la fin du lycée. Nous étudions aussi la littérature française et je leur demande, en plus des extraits du manuel, de lire l’ouvrage entier en français facile : nous travaillons en ce moment sur Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, dont nous avons aussi regardé l’adaptation faite au cinéma, et les élèves sont très enthousiastes ! Je leur partage aussi mon expérience de la France, pour aller au-delà de ce que les manuels peuvent en dire : ce que j’ai appris et vécu à Clermont-Ferrand, les différences culturelles que j’ai pu observer – la politesse des Français qui disent toujours bonjour même quand ils entrent dans un supermarché, ce qui m’avait beaucoup étonnée, les achats qui se font très largement par carte bancaire et de plus en plus en ligne, ce qui n’est pas le cas ici… Il est important d’entretenir l’attrait du français, face à l’anglais qui, en Albanie comme ailleurs, est une langue indispensable, mais aussi face à l’allemand qui apparaît de plus en plus comme une langue de travail offrant de belles opportunités notamment dans le domaine de la santé : les Albanais sont nombreux à partir à l’étranger, et les effectifs globaux des élèves ont tendance à baisser – mais pas plus en français qu’ailleurs, peut-être en raison de la vieille tradition francophile de Korça. L’apprentissage d’une langue étrangère est un long voyage qui procure un grand bonheur mais qui exige beaucoup d’efforts, et l’enseignant est là pour les soutenir. Je fais d’ailleurs réaliser à mes élèves un « calendrier de motivation » et ils lisent, au début de chaque séance, la citation qu’ils y ont inscrite.

Quand je n’enseigne pas à mes lycéens ou aux adultes de l’Alliance française, où je suis également responsable des cours, je continue à approfondir mon français. Un français à la fois académique – j’ai passé le DALF C1 l’an dernier – mais aussi courant : je lis Le Monde ou Le Figaro en ligne, le magazine Phosphore, auquel les élèves sont abonnés via l’ambassade de France, et je regarde des émissions de téléréalité sur YouTube (comme Les Marseillais vs le reste du monde !), Cauchemar en cuisine ou Le meilleur pâtissier avec Cyril Lignac, souvent d’ailleurs pendant que je fais moi-même la cuisine. J’ai kiffé mon séjour à Clermont-Ferrand : ce n’est pas pour oublier la langue parlée des Français ! J’ai bien l’intention, au contraire, d’enrichir encore mon vocabulaire pour parler comme une vraie Française.

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