FDLM #460 – Audio Expression : Être
Un mot, une histoire du 31/03/2025, Lucie Bouteloup
AUDIO
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Transcription
C’est un mot double qui est intriguant, qui est très étrange, qui change presque à chaque fois de forme.
C’est une sorte de sujet de quête pour moi.
Sorour Kasmaï est né à Téhéran, mais elle a fui l’Iran après la Révolution pour s’installer en France où elle vit depuis plus de 40 ans. À côté de ses activités de traductrice, elle publie quatre romans et fonde la collection « Horizons persans» aux éditions Actes Sud. Et comme c’est une femme engagée, notamment auprès de celles qui s’insurgent contre l’oppression qu’elles subissent de la part du gouvernement iranien, elle a publié en 2023 l’ouvrage « Femmes, rêves, liberté », en écho au mouvement « Femmes, vie, liberté ». Et pour cet épisode, elle a choisi de nous parler d’un mot existentiel.
Je vais vous parler d’un mot qui m’a toujours intriguée. C’est le mot « être » qui est un verbe, mais qui est aussi un substantif. Et donc il a plusieurs aspects. Le verbe « être » est un verbe d’état qui relie l’attribut au sujet, mais c’est un verbe on ne peut plus irrégulier. « Je suis » mais « tu es », « nous sommes » mais « vous êtes », et [au] passé et futur aussi sont différentes. « Je fus » alors que « je serai ». Peut-être c’est une façon d’exprimer l’idée que chacun a sa façon d’être dans le temps.
Et puis il y a cette forme à la troisième personne du singulier « est », E S T, qui est commune au persan, au français et au russe, mes trois langues. En passant, une petite remarque, le verbe « être » ne se conjugue pas en russe au présent. On ne peut qu’être qu’au futur et au passé. Et donc tous ces aspects m’ont toujours intrigué par rapport à cette façon que la langue prévoit pour son locuteur ou locutrice que je suis d’être.
« Être », c’est aussi exister, c’est vivre.
C’est l’être. Ce qui nous ramène au substantif, c’est-à-dire prendre conscience de son être profond, le façonner malgré les obstacles qui sont la culture, les coutumes, les traditions, les croyances qui vous obligent d’être celle-ci ou celle-là et qui vous empêche d’être celle que vous voudriez être. Et donc c’est une voix, une sorte de voix mystique, presque pour arriver à toucher vraiment cet être profond qui est quelque part en nous, la faire révéler, si vous voulez. Et l’être n’est jamais figé. L’être a un rapport dialectique avec le temps, avec le devenir. Dès que vous êtes quelqu’un, que vous prenez conscience de l’être, vous êtes déjà quelqu’un d’autre. Être femme, être exilée, être écrivaine. Et le dernier ouvrage que j’ai édité a pour titre « Femmes, rêve, liberté ». Et c’est la réponse collective de douze écrivains iraniens à la question emblématique de la littérature. Être ou ne pas être ? « Faut-il endurer les coups du destin ? demande Shakespeare, ou se rebeller pour mettre fin à la douleur ? »
Selon le dictionnaire Le Petit Robert, « être» désigne à la fois un verbe intransitif c’est avoir une réalité, exister, mais c’est aussi un nom qui désigne ce qui est vivant, animé, ou encore l’âme, la conscience de quelqu’un.
C’était un mot, une histoire.
Image : crédit : par Khosrow Parviz — Travail personnel, CC BY-SA 4.0
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