Henriette Walter, mille et une histoires de mots

Posté le par le français dans le monde

Autrice incontournables du Français dans tous les sens ou de L’Aventure des mots français venus d’ailleurs, la linguististe publie Deux mille mots pour dire le monde (éditions Bouquins). Une somme à double titre, puisque ces mots proviennent de travaux précédents (sur la cuisine, les arbres ou les poissons) mais avec une finalité autre que celle d’une simple archiviste, la volonté bien ancrée de donner « le reflet d’une petite parcelle de notre histoire sur la terre ». Une aventure lexicale qui se lit comme un roman.

Voyage au pays du dico
Deux mille mots… Comment s’est effectuée cette tâche de sélection qui paraît immense ? « Non pas au hasard de l’alphabet mais en me frayant un chemin personnel entre les pages du dictionnaire. Ce que je voulais c’est proposer aux lecteurs plusieurs “arrêts sur image” parmi les innombrables entrées qu’on y trouve, pour prendre le temps d’y découvrir, mot après mot, une plus ample connaissance du monde qui nous entoure. Une histoire de l’aventure humaine et de son environnement en faisant des pauses sur ce qui se cache sous les mots de la nature inerte (pierres qui deviennent parfois montagne), de la nature vivante (faune et flore) et finalement de ce que l’être humain en a fait, matériellement (les chaussures, la maison) ou intellectuellement (le dialogue, l’amour). »

Trouver chaussure à son pied

Un chapitre entier consacré à la godasse, à la basket ou à la babouche – bref, à la chaussure. Vaste domaine lexical taillé pour une pointure des mots. « Il existe plusieurs centaines de noms consacrés à la chaussure, et bien souvent totalement inconnus ou mystérieux, de chaussures rares ou destinées à des usages particuliers, ou des vestiges vivants d’époques révolues ou de lieux éloignés, témoignant de l’esprit d’invention sans bornes qui a présidé à la création d’expressions familières ou argotiques (cf. les déclinaisons sur le mot bateaux, « souliers médiocres et de grandes tailles » : barques, chaloupes, canots, gondoles, péniches, frégates, jusqu’à bateaux-mouches, sousmarins, torpilleurs !…). »

Des pauses créatives et récréatives

À côté de petits focus sur l’histoire des mots (par exemple pourquoi le mot événement a deux accents aigus), de courts encadrés « Récréation » rendent la lecture active de façon ludique, avec des questions-réponses. Si je vous demande le rapport entre Limoges, Savoie et Brésil ? Réponse : Ces toponymes reposent sur des noms d’arbres (respectivement l’orme, le sapin et le pernambouc, qui produit une teinture « couleur de braise » : pau brasil). « Avec ce livre, c’est la première fois que j’ouvre la porte de l’atelier du linguiste pour expliquer sa démarche dans son analyse, tout en essayant d’être compréhensible et, si possible, en riant un peu. »

Vous avez dit orthographe ?

Cela intéressera le prof de FLE qui s’évertue à apprendre l’épineuse orthographe française : l’alfonic. Quèsaco ? « Cette méthode se fonde sur la prononciation des enfants, ce qu’ils savent déjà, c’est-à-dire sur le système phonologique moyen du français actuel, sur les distinctions qui sont faites par la majorité d’entre eux, en tenant compte de la diversité des usages. Pour les étrangers, c’est de ce même système moyen qu’il faut partir. Ce n’est pas une nouvelle orthographe à apprendre, mais une aide momentanée pour acquérir sans appréhension l’orthographe traditionnelle. »

Le français langue « étrange » ?

« Décrire une langue, c’est chercher à découvrir en quoi elle est différente de toutes les autres. » Tel est le but du passionnant chapitre « Enseigner les langues ». Quelles sont les spécificités du français ? Pour la prononciation, le fait que « toutes les voyelles gardent leur timbre, quelle que soit leur place dans le mot. Car le français n’est pas une langue phonologique : c’est-à-dire qu’à l’inverse de l’anglais la place de l’accent n’y est pas pertinente puisqu’elle n’a pas d’incidence sur le message. » Autre particularité : « L’existence de voyelles nasales phonologiques (très rares dans les langues de l’Europe). Par exemple la voyelle nasale de pont se distingue de celle, orale, de pot, impliquant des sens totalement différents. » Pour la conjugaison, contrairement en espagnol par exemple, à noter la présence obligatoire du pronom personnel : « je viens, tu viens, il vient sont inséparable parce que la désinence verbale est identique, à l’oral, pour les trois personnes. » Quant au genre grammatical, pour un russophone ou un anglophone, il est recommandé « de veiller à ne jamais apprendre un substantif français sans son déterminant D’autant que même dans les langues qui, comme en français, distinguent entre le féminin et le masculin, la distribution ne se fait pas de façon identique : le lait, mais la leche en espagnol ; la bouche, mais der Mund en allemand. » Ce livre n’est donc pas seulement un plaidoyer à l’apprentissage du français mais de toutes les langues. Une porte d’entrée à la diversité du monde, palpitant sous l’écorce des mots.

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