Classe renversee

Et on renverse la classe !

Posté le par Le français dans le monde
FDLM 461 - Nov-Dec2025 - Savoir-faire - Par Sarah Nuyten

Et si les étudiants prenaient la place de l’enseignant ? C’est le pari de Jean-Charles Cailliez, enseignant-chercheur à Lille. Son idée de « classe renversée » a transformé les cours magistraux en sessions collaboratives, où l’apprentissage se construit sans se départir des fondamentaux

« L’idée est partie d’un adage qui dit que la meilleure façon d’apprendre c’est d’enseigner », sourit Jean-Charles Cailliez. À 63 ans, cet enseignant-chercheur en biologie cellulaire et moléculaire à l’Université catholique de Lille, dans le nord de la France, est intarissable lorsqu’il évoque la classe renversée, un concept de son cru inspiré des classes collaboratives et inversées. « Pendant vingt-cinq ans, j’ai été un prof classique, je faisais des cours magistraux et je n’avais aucun souci avec l’enseignement de ma matière », raconte-t-il. La bascule survient en 2012, lorsqu’il se forme aux méthodes du codesign, une démarche centrée sur les utilisateurs, qui fait appel à l’intelligence collective pour élaborer des solutions. Il développe ces procédés au sein d’ateliers et de réunions, constate que cela fonctionne. Alors, durant l’été 2012, Jean-Charles Cailliez réfléchit à la meilleure manière de les transposer en classe, pour rendre les élèves acteurs et non simples consommateurs de leur apprentissage. Il crée un scénario, élabore un modèle de travail en équipe, bâtit des exercices, une boîte à outils… Et en parle à ses collègues : « Tout le monde se marre… », se souvient-il.
D’abord baptisé « classe Do It Yourself », le cours commence en janvier 2013 avec 80 étudiants de 3e année de licence. Succès immédiat. « L’originalité réside dans le fait que je me suis attaquée à une matière principale et à un cours magistral, et que j’ai immédiatement demandé à chaque étudiant d’évaluer les séances avec des points positifs et négatifs », résume l’enseignant-chercheur. Il partage ces retours sur les réseaux sociaux et via son blog, faisant rapidement des émules. Il est contacté par des profs, des entreprises, est invité à des colloques, on lui propose d’écrire des livres*… L’expérience pédagogique devient une activité de formation et de conseil, et son approche, renommée « classe renversée », essaime dans le monde entier, à tous les niveaux scolaires.

Jean-Charles Cailliez

Jean-Charles Cailliez

Concrètement, ça marche comment ?
La classe renversée peut être mise en place avec des groupes allant d’une dizaine jusqu’à 80 étudiants, l’effectif optimal étant une quarantaine d’élèves. Ils sont répartis en groupes de six, constitués par Jean-Charles Cailliez : « Je mélange les bons, les moins bons, les filles, les garçons, je sépare les affinités. » Pour faciliter l’organisation des équipes, dont les membres ne se connaissent pas toujours, des rôles sont attribués : le délégué, le responsable de la bibliographie, celui qui s’occupe des questions, de l’iconographie… Une répartition bien souvent abandonnée dès que le groupe apprend à travailler ensemble.
« Quand ils arrivent en classe, ils ne savent pas ce qui va leur arriver. » Les étudiants disposent uniquement des têtes de chapitres pour bâtir le cours, mais la liberté de la méthode n’efface pas la rigueur : il y a un programme à suivre. « J’ai des attendus, il faut que le cours qu’ils produisent ressemble à celui que j’aurais fait », poursuit le professeur de biologie cellulaire et moléculaire. Chaque séance de 2 heures est divisée en tronçons : travail autonome des équipes, exercices collaboratif, séquences de cours magistraux, évaluation… « Les temps de cours magistraux sont courts, mais essentiels. C’est comme s’ils envoyaient leur meilleur élève au tableau ! Et quand je pose des questions, ils savent que je soulève un point incontournable. » Les phases de production sont suivies de phase d’échange et de challenge avec les autres équipes, pour améliorer le cours. 80 % de la note est commune, 20 % individuelle, mêlant contrôle continu et examen final.

Éviter une utilisation paresseuse de l’IA sans interdire
Détail étonnant : ce sont les étudiants qui construisent les questions et les réponses de l’examen. « Le jour J, ils ont tout sous la main : les chapitres qu’ils ont fabriqués, la centaine de questions qu’ils ont élaboré, ils peuvent utiliser internet, l’IA, se mettre à deux pour répondre, énumère Jean-Charles Cailliez. Sauf qu’ils n’ont pas le temps de se servir de tout ça s’ils n’ont pas le cours en tête : grâce au format de l’examen, je peux contrôler la mobilisation des connaissances. » L’enseignant, vice-président Intelligence artificielle et Éducation de l’Université catholique de Lille, a adapté les modalités d’évaluation aux nouveaux défis posés, notamment, par l’utilisation de l’IA. L’examen proposé aux élèves de la classe renversée est donc scénarisé. Distanciel mais synchrone, il place les étudiants face à 4 questions – différentes pour chacun – qui apparaissent toutes les 20 minutes, avec un format de réponse imposé. Depuis cette année, les rendus doivent être manuscrits, photographiés et envoyés, les obligeant à synthétiser.
En plaçant les étudiants en posture active et en les obligeant à travailler ensemble, la classe renversée développe leur capacité à collaborer, crée une émulation collective et favorise le développement de l’esprit critique. « Biologiquement, on partage tous le même processus d’apprentissage : aussi étonnant que cela puisse paraître, la meilleure façon d’apprendre reste le cours magistral !, explique Jean-Charles Cailliez. Sauf qu’au bout de 15 minutes, les étudiants lâchent. Les classes collaboratives ne sont donc pas la meilleure façon d’apprendre, mais de motiver, d’engager et d’ancrer la connaissance. Il faut donc hybrider. » La classe renversée fonctionne pour toutes les matières explique-t-il. « Pour certaines, comme les langues ou l’art, cela existe depuis longtemps, sous différents noms. Et comme je le dis souvent, on n’est pas obligé de renverser toute sa classe, il suffit d’un chapitre, d’une partie de cours, pour que la dynamique change. Regardez le programme de l’année, il y a bien un chapitre un peu pénible : c’est celui-là qu’il faut renverser ! »



Témoignages

Mihia Winkelstroeter

Mihia Winkelstroeter

« Une énergie différente »

« Le plus marquant au quotidien dans une classe renversée, c’est l’ambiance. Les élèves s’interrogent entre eux, se corrigent, débattent. Les échanges ne passent plus uniquement par moi, ils circulent dans toutes les directions. Il y a une énergie différente, la dynamique de classe est plus vivante, car la curiosité et la coopération des enfants priment sur la simple exécution de tâches. Cette méthode m’oblige à réfléchir sans cesse à mes choix pédagogiques et à ce que je veux transmettre. Les élèves construisent une autonomie intellectuelle et une posture de collaboration qui dépassent le cadre scolaire. Ils gagnent aussi en confiance en eux. Dans un monde où l’information est partout, je trouve essentiel que l’école leur apprenne à chercher, à analyser et à construire ensemble. »

Mihia Winkelstroeter, enseignante en cycle 3 dans une école primaire de Mahina (Tahiti)

 

 

 


Loic Laroche

Loic Laroche


« Cela résout les difficultés d’attention »

« Je travaille en classe renversée pour un cours de licence sur l’histoire contemporaine des États-Unis vus par le journal Le Monde. Je pose des questions aux étudiants réunis en groupes. Ils vont ensuite rechercher des articles pour justifier leurs réponses, qu’ils présentent à la classe. J’utilise également cette méthode au sein d’autres cours classiques, pour les renverser pendant une séquence ou une séance complète. J’interroge les étudiants qui vont chercher eux-mêmes ce qu’ils sont censés apprendre. Je peux également leur donner des lectures ou écoutes préparatoires, afin que le cours se limite aux questions et à la co-construction des réponses. Cette manière de fonctionner les motive et permet de résoudre les difficultés d’attention. »

Loïc Laroche, maître de conférences en histoire contemporaine à la faculté de Lettres et Sciences humaine de l’Université Catholique de Lille

 

 

 

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