« Choisir le français a déterminé toute ma vie »

Posté le par Le français dans le monde
FDLM - numéro 461. Vie de prof - Nov-déc 2025 - un article écrit par Sarah Nuyten


Tombée dans la marmite des mots et des langues lorsqu’elle était petite, Nisha Seshan enseigne le français depuis ses 20 ans. Après avoir fait ses armes à l’Alliance française de Pune, capitale culturelle du Maharashtra, cette Indienne singulière est aujourd’hui indépendante, dans tous les sens du terme.

Lorsque j’étais enfant, on me surnommait « l’ermite » car j’étais toujours plongée dans mes livres. Même aux fêtes, je disparaissais rapidement pour aller lire dans un coin. À la maison, nous n’avions pas de télévision, mais mes parents nous faisaient la lecture. Ils ont toujours cultivé cette ouverture culturelle : mon père, journaliste, avait un peu appris le français, il avait voyagé en Europe ; ma mère, historienne, a beaucoup lu en ancien anglais et en français. Tout naturellement, ma sœur et moi étions de grandes lectrices.

Une série de romans anglais a été déterminante pour moi, vers l’âge de 12 ou 13 ans : The Chalet School d’Elinor M. Brent-Dyer, qui suit le quotidien d’élèves d’une école plurilingue du Tyrol autrichien. Les élèves apprennent l’anglais le lundi, l’allemand le mardi, le français le mercredi… Je ne comprenais pas toujours les phrases écrites dans ces langues, ni les blagues que les personnages se lançaient sur leurs erreurs de traduction. Cette frustration m’a donné envie d’apprendre !

En Inde, nous sommes naturellement polyglottes. Je suis née dans le Tamil Nadu mais j’ai presque toujours vécu à Pune (à 2 heures de Mumbai), alors à la maison, on parlait anglais, tamoul et marathi. Ici, à l’école, on peut choisir une langue étrangère. Un peu par hasard, j’ai pris le français. Ce choix a déterminé toute ma vie. À l’université, j’ai suivi un cursus en sciences sociales et langues : ma matière principale était l’anglais, tandis que le français était ma discipline secondaire. Et puis j’ai franchi les portes de l’Alliance française de Pune et ça a été un déclic. Là-bas, on n’apprenait pas en passant par la traduction, mais en immersion. On parlait, on écoutait, on s’imprégnait directement de la langue et si on ne comprenait pas tout, ce n’était pas grave, on comprendrait plus tard. J’ai adoré les sonorités, le jeu possible avec les mots, le travail de prononciation. Je sentais depuis toujours que l’enseignement était ma vocation, je voulais être prof de français, d’anglais ou de danse. Mais en faisant plus de français, c’est devenu une évidence.

Grenoble, la montagne et le fromage
En 2004, j’ai vécu ma première immersion en France, trois semaines dans une famille à Brétigny, en région parisienne. Puis, en 2005, j’ai passé neuf mois à Grenoble comme assistante d’anglais dans une école primaire. Tout ce que j’avais lu et étudié, je le vivais enfin. C’était extraordinaire. Grenoble est devenue ma ville de cœur. Je suis toujours émerveillée par les montagnes, qui sont partout où l’on regarde : c’est un bonheur incommensurable. Sans parler des spécialités culinaires de Savoie, de la tartiflette à la raclette, du bon pain français et du vin. Je suis revenue plusieurs fois à Grenoble, notamment pour mon master de FLE entre 2009 et 2012, où j’ai vécu cette perspective du français hors les murs, dans la vraie vie, dans les bars…

J’ai aussi lu énormément. La série Astérix m’a marquée car, si je la connaissais, je ne savais pas qu’à l’origine elle était écrite en français ! Lorsque j’avais commencé à lire, je trouvais que c’était très dur à comprendre, notamment en raison des jeux de mots. Plus tard, je suis tombée sur un album par hasard dans un vide-grenier et je me suis replongée dedans : coup de foudre ! J’ai acheté plusieurs albums par la suite et lors de mes activités autour de la BD, je conseille toujours à mes étudiants – à partir du C1 ou C2 – de tenter au moins deux titres. Certains sont devenus fans de la série grâce à moi et j’en suis fière.

De l’Alliance à l’indépendance
En 2012, je suis rentrée en Inde et j’ai enseigné sept ans à l’Alliance française de Pune. Mais les salaires peu élevés, la précarité et l’absence de perspectives m’ont poussée à repartir. En 2020, je me suis lancée comme indépendante dans des cours à distance de français et d’anglais. Le confinement lié à l’épidémie de Covid-19 a paradoxalement été une chance : les éditeurs ont mis à disposition des ressources gratuites et les gens ont eu du temps libre pour se lancer dans l’apprentissage ou le perfectionnement d’une langue. J’ai adoré concevoir des cours sur mesure, sans manuel imposé. Mes premiers étudiants étaient indiens, puis j’ai aussi enseigné à des Russes.
En parallèle, je suis retournée en France. En 2022, j’ai de nouveau enseigné à Grenoble comme lectrice d’anglais, notamment à l’Inspe (l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation), puis à Lyon… Ces contrats d’un ou deux ans me conviennent parfaitement : je ne suis pas faite pour le CDI ! Ces différentes missions en France ont été une expérience d’émancipation totale. Vivre seule, gérer le quotidien, travailler… En Inde, beaucoup de jeunes n’ont pas de job étudiant avant de se marier. En France, j’ai appris à tout assumer par moi-même. Cela m’a forgée. Je vois aussi cet effet chez mes étudiants : la langue française est un moteur de changement, une ouverture sur le monde.

Apprendre dans le plaisir et le lien
Le français fait partie intégrante de ma vie quotidienne. J’ai des livres partout, des affiches en français sur mes murs, j’écoute des podcasts en langue française… Elle est devenue indissociable de mon identité. Je parle aussi espagnol, allemand, russe, chacune de ces langues est une facette de moi. Le français reste mon socle, ma passion première, et l’enseigner me fait vibrer. Ce que je préfère, c’est voir le déclic dans les yeux des étudiants, le moment où la compréhension jaillit. C’est une récompense immense.
Si je devais définir ma manière d’enseigner, je parlerais d’adaptabilité. Bien sûr, j’aime avoir une structure de cours, mais elle n’est jamais rigide. Je m’adapte à chaque classe, à chaque étudiant. Je privilégie les activités ludiques, les jeux à l’oral et à l’écrit. L’essentiel est que les élèves prennent du plaisir. On m’avait conseillé, lorsque je débutais, de garder mes distances. Avec l’expérience, j’ai revu ma copie et je suis au contraire de plus en plus ouverte à de vraies relations. Nombre de mes amis d’aujourd’hui sont d’ailleurs mes étudiants d’hier. J’assume cette proximité, car je pense qu’elle favorise la motivation des élèves et l’efficacité de l’enseignement.
En Inde, le français est perçu comme une langue chic, élégante, romantique… Et l’une des plus difficiles à apprendre. La prononciation, notamment, impressionne beaucoup. Je m’efforce de montrer à mes élèves que c’est une langue régulière, logique. J’ai moi-même longtemps cherché à parler avec un accent natif. Désormais, je relativise, même si j’ai toujours le goût des mots bien prononcés… J’ai d’ailleurs pour projet de réaliser une thèse autour de la prononciation et de la phonétique, notamment par le théâtre. Et je vais tout mettre en œuvre pour le concrétiser en France, ou ailleurs en Europe !

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