« C’est tout naturellement que j’exerce mon métier en français »
FDLM. 460 - Langue - Etonnants francophones - Propos recueillis par Sarah Nuyten
À chaque numéro, le témoignage d’une personnalité marquante de l’émission de TV5MONDE présentée par Ivan Kabacoff.
Aujourd’hui, Sara Jabry, journaliste pour la chaîne marocaine 2M.
Née à Meknès le 15 août 1989, j’ai eu une enfance très heureuse, rythmée par ma scolarité et plein d’activités extrascolaires : natation, basket, cours de langue, théâtre… C’était essentiel pour ma mère que je puisse m’épanouir, enrichir mon parcours et développer des passions au-delà des murs de l’école, même si je suis un pur produit de l’école publique marocaine, du primaire aux études supérieures.
Après deux baccalauréats scientifiques, j’ai été diplômée de l’Institut supérieur de l’information et de la communication (ISIC) en 2012, que j’ai enchaîné avec un master en communication des entreprises et plusieurs formations, notamment avec RFI et l’INA à Paris. Parallèlement, j’ai fait mes premiers pas dans le monde professionnel à la radio Medina FM, avant de rejoindre Radio 2M en 2011 pour présenter le journal et couvrir l’actualité culturelle. Dès 2013, j’ai intégré la rédaction télé comme correspondante régionale, poste que j’occupe depuis bientôt treize ans et qui m’a permis de revenir à ma ville natale. Pas un retour en arrière, plutôt à l’essentiel. Aujourd’hui, je raconte les histoires, les défis et les espoirs de la région qui m’a vue grandir.
Mon rapport au français est profond, presque instinctif. Bien avant d’en apprendre les règles sur les bancs de l’école, il faisait déjà partie de mon quotidien. Je viens d’une famille modeste, mais très ouverte sur le monde, où cette langue avait naturellement sa place. Ma mère, passionnée de littérature française, m’en parlait souvent, et mes cousins, qui habitaient en France et en Belgique, contribuaient chaque été à entretenir un lien vivant avec la francophonie. À 7 ans, j’ai eu la chance d’intégrer des cours à l’Institut français de Meknès, une vraie parenthèse enchantée où je découvrais la richesse et la beauté de cette langue. J’étais aussi une grande lectrice, et le suis toujours, portée par cette curiosité qui ne m’a jamais quittée.
Les chaînes de télévision françaises ont également nourri cette passion. Je me souviens de mes années collège, où je rentrais à midi, impatiente de regarder l’émission « C’est mon choix » avec Évelyne Thomas, ou encore les journaux et émissions d’enquête. Je notais chaque mot inconnu, puis courais le chercher dans le dictionnaire. C’est ainsi que mon rapport à la langue française s’est construit, jour après jour, comme un lien intime et durable. Et c’est tout naturellement que j’exerce mon métier en français. Non pas parce que c’est la seule langue du journalisme, mais parce que, pour moi, c’est une langue de passion.
Le journalisme est un métier exigeant, à la fois énergivore et chronophage, qui demande une implication totale. Il nécessite une présence constante sur le terrain, de nombreux déplacements et des sacrifices. Au quotidien, pour une femme, c’est un jeu d’équilibriste pour concilier vie professionnelle et vie familiale. Les horaires sont irréguliers, l’actualité ne connaît ni pause ni week-end et les imprévus font partie de la routine. Mais j’ai la chance de pouvoir compter sur mon époux et ma famille, qui me soutiennent sans relâche. Et quand la passion est là, la machine tourne comme par magie…
Qu’il soit personnel ou professionnel, mon lien particulier avec la France est perçu comme légitime par mon entourage. C’est peut-être là qu’on voit toute la richesse du lien entre le royaume du Maroc et la République française. C’est une relation ancienne, complexe mais toujours vivante. Cette relation, il faut l’entretenir, l’enrichir, la questionner aussi, parfois. Mais qui existe. En tant que journaliste marocaine qui écrit et parle en français, je me situe à cette intersection. Et je pense que c’est une chance. Car cela me permet de raconter mon pays, sa richesse, son authenticité, sa jeunesse, ses ambitions, avec une voix qui peut être entendue au-delà des frontières.

