« Notre métier est souvent comparé à celui du devineur »

Posté le par Le français dans le monde
FDLM n. 459 - Vie de profs - été 2025 - Propos recueillis par Sarah Nuyten

Idiamino Mboko est tombé dans la marmite du français un peu par hasard. Après avoir suivi sans entrain ce chemin vers la langue de Molière, cet Angolais a trouvé dans l’enseignement du FLE une source de motivation inépuisable. À 37 ans, il s’engage désormais chaque jour pour soutenir les nouvelles générations d’enseignants.

En toute honnêteté, l’enseignement du français n’a pas toujours été une vocation : au lycée, je souhaitais suivre une formation en maths et physique dans le but d’intégrer une filière d’ingénierie. En 2005, je me suis donc inscrit dans un lycée technique mais, par manque de places, je n’ai pas été retenu. Mes parents ont dû chercher une solution et j’ai finalement atterri à l’école de formation des professeurs, dans la filière de français. Je n’ai absolument pas eu le choix et j’ai dû étudier là-bas durant quatre ans. En 2009, j’ai terminé le lycée sans la moindre motivation de poursuivre dans cette voie et j’ai passé un an à la maison sans savoir quoi faire…
Mais en 2011, j’ai eu comme un déclic et j’ai senti qu’il fallait que je continue mes études : je me suis donc inscrit à l’Institut supérieur des sciences de l’éducation de Luanda (la capitale de l’Angola), où j’ai commencé à gagner en force et en motivation. Je me suis dit que si je continuais en FLE, ce serait pour venir en aide aux futurs élèves de l’école où j’avais moi-même fait mes premiers pas dans la langue française, à savoir l’école de français de professeurs.  Car je n’étais pas un cas isolé : la plupart des étudiants de français passaient alors quatre ans en formation sans véritable motivation. C’est aussi à ce moment-là que j’ai décidé de faire de cette formation ma profession. Aujourd’hui, je peux dire que je ne regrette rien. La beauté du français, langue de la diplomatie, de l’esprit et de l’amour, m’a totalement conquis et je me sens bien où je suis.

Une petite révolution en classe de FLE
À l’université, j’ai été très soutenu par mon directeur de mémoire, qui était un super enseignant, très inspirant. C’est avec lui que nous avons bâti les fondations qui allaient ensuite complètement transformer l’avenir des étudiants face à l’apprentissage du français, en travaillant sur le sujet de la motivation en classe de FLE. J’ai soutenu mon mémoire en 2016, puis j’ai été nommé au poste de coordinateur de la filière du français à l’école de formation des professeurs. C’était le début de la révolution dans l’enseignement de la langue de Molière ! J’ai mis en application mon projet de mémoire et nous avons complètement transformé la formation des profs de français grâce à une série d’actions très concrètes.
Nous avons changé la disposition des classes traditionnelles, remplacées par des classes en U ou en îlots ; les cours magistraux, où la seule voix entendue était celle du professeur, ont été remplacés par des cours animés, impliquant les apprenants ; nous avons encouragé la participation et les échanges entre les élèves ; des cours ont été organisés en dehors de la salle de classe ; nous avons introduit de la variété dans les supports, avec des vidéos, des chansons et des activités ludiques pour susciter l’intérêt des étudiants… Tous ces changements ont permis de travailler plus efficacement les quatre compétences en classe : la compréhension orale et écrite, la production orale et écrite. Mais surtout, désormais, les apprenants de notre filière sont coopératifs et motivés !
À l’origine, j’ai été formé selon l’approche communicative, mais ma formation supérieure et mon expérience comme enseignant, notamment à l’Alliance Française de Luanda, m’ont fait adopter l’approche actionnelle, que je trouve bien plus efficace. Mon astuce est de favoriser l’interaction entre les apprenants et de réussir à tisser des liens entre la langue et la vie personnelle, professionnelle et sociale des étudiants.
Alors c’est vrai, ce métier je ne l’ai pas choisi, c’est lui qui m’a choisi. Mais aujourd’hui, ce qui me fait vibrer dans cette mission, c’est de voir les nouveaux apprenants, pareils à de petits enfants faisant leurs premiers pas avec beaucoup de doutes et d’insécurité, être capables au bout de quelques mois de marcher, voire de courir, sans peur ni honte de le faire en français. Pour moi, un bon prof, c’est celui qui cumule le savoir, le savoir-être, le savoir-faire et le savoir-apprendre.
Le savoir repose sur une solide connaissance du métier et de ce que l’on enseigne. Le savoir-être, c’est être un bon citoyen, ouvert et cultivé. Pour le savoir-faire, il faut réussir à mettre tout cela en pratique en s’adaptant à notre public. Quant au savoir-apprendre… J’appelle à l’adaptation perpétuelle des enseignants face aux contraintes de l’enseignement, car les apprenants d’hier ne sont pas ceux d’aujourd’hui, les temps changent et les méthodes évoluent. Bref, être un bon professeur c’est comprendre le vrai besoin de l’apprenant et y répondre efficacement.

Professeur ou devineur, même combat
Avec le temps, la langue de Molière a gagné une place de choix dans ma vie : d’abord langue de formation, elle est devenue une langue de travail, mais aussi de voyage et de culture. J’adore lire et suivre des séries en français et j’apprends aussi la langue à ma femme et à mon fils. Ce n‘est plus une langue qu’on m’a imposée, elle fait partie de ma vie et me permet de la gagner, elle m’insuffle de l’espoir et me confère une identité internationale. J’ai d’ailleurs créé en 2022 une société francophone angolaise, avec laquelle nous organisons régulièrement des rencontres, des débats, des activités en langue française. On invite des étudiants de l’Alliance française et des amis qui parlent français. Je souhaite la faire prospérer. Une autre de mes ambitions pour l’avenir serait de travailler pour des ONG, afin de contribuer à la diffusion de la langue française.
Je suis convaincu que le métier de professeur a de l’avenir, car c’est celui qui rend possible tous les autres, la question est plutôt de savoir quel genre de profs nous voulons dans nos classes, pour quelle société ? En Angola, c’est un secteur qui aurait besoin de vrais investissements, surtout au niveau des ressources humaines, avec plus de formations continues, des conditions de travail favorables et de bons salaires. Les enseignants angolais gagnent mal leur vie et doivent parfois travailler dans des conditions difficiles.
Ici, notre métier est souvent comparé à celui du devineur – une sorte de sorcier qui fait de sa sorcellerie son métier. Il donne des solutions aux gens pour qu’ils règlent leurs problèmes et puissent évoluer. Cependant, le devineur lui, est coincé dans sa petite cabane et n’en sort jamais. C’est le même problème pour le corps enseignant. On donne des solutions, on forme les gens, et nous on est toujours là dans la petite cabane : il faut que les choses changent pour faire de ce métier essentiel un métier d’avenir.

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