In memoriam : Raymond Le Ruyet, précurseur et inventeur de la politique linguistique

Posté le par Le français dans le monde

C’est avec une grande tristesse que nous avons appris le décès de Raymond Le Ruyet, Sous-directeur de la politique éducative et linguistique de 1981 à 1989 . Pour nombre d’entre nous, ceux et celles qui entre eux se désignèrent comme la « génération Le Ruyet » et qui accédèrent ensuite de nombreuses responsabilités, il restera l’inventeur de ce que l’on appelle communément la politique linguistique.

 

La scène se passe au château de Chamarandes, dans la banlieue parisienne, en septembre 1982. Déjà une réunion d’un genre particulier pour ceux que l’on appelle « les nouveaux partants ». C’est ici que pour la première fois, devant « ses » cadres, rebaptisés récemment « attaché linguistique », Raymond Le Ruyet pose les fondements de ce qu’il nommera politique linguistique à côté de ce qui était alors la partie noble, la politique artistique qui s’appropriait volontiers le terme englobant de politique culturelle.

Pour l’essentiel Raymond Le Ruyet, tout juste arrivé du Nigéria où il avait exercé les fonctions de Conseiller culturel de coopération et d’action culturelle,  avait eu l’intuition et avait compris que le sort du français ne se jouerait pas seulement dans la salle de classe,  – que l’action publique ne devait plus se cantonner au seul enseignement du français langue étrangère et à la seule formation des professeurs de français  étrangers –  mais en dehors, en agissant sur la demande sociale, en travaillant sur l’image de la langue que nous voulions communiquer. Dès lors, il convenait d’œuvrer sur la dynamique de désir pour notre langue et sur la conviction de son utilité « professionnelle et marchande » dans le développement d’une carrière, et travailler en aval sur les opportunités professionnelles qui s’offraient aux élèves ayant acquis un bon niveau de français, en parallèle avec d’autres savoirs faire. Il fallait également faire du « lobbying » auprès des ministres étrangers de l’éducation pour qu’ils gardent une place importance pour l’enseignement du français, et des langues en général, dans les programmes d’enseignement de leurs pays.

C’est dans ce contexte que Raymond Le Ruyet a souhaité donner une visibilité nationale à une politique de notre langue qui à l’instar de celle défendue et illustrée par l’AFAA, l’ADPF ou l’AEFE n’en avait pas. Et qu’il frappa un grand coup en organisant en 1985 une réunion mondiale des attachés linguistiques intitulée « Convergences 85 » où 500 des 600 attachés linguistiques du réseau vinrent participer à leur frais. Une manifestation qui mobilisa les principaux ministres du- gouvernement d’alors, l’ensemble des grandes institutions éducatives, culturelles et scientifiques et connut un retentissement médiatique inhabituel…Mais surtout une manifestation qui vit émerger des thèmes qui  s’imposent encore, 40 ans plus tard : l’espace de communication francophone ; le lien entre  informatique et action linguistique ; la collaboration avec les régions françaises pour « une nouvelle image de la France ; les besoins des publics ; l’image du sport et la promotion de la   langue ; le français des affaires, et des professions… Ici, confronté à des professionnels de ces domaines, le réseau des attachés linguistiques prenait la parole et apportait  la dimension concrète de leurs difficultés et de leur expérience.

Avec Raymond Le Ruyet, le réseau des attachés linguistiques et des lecteurs est devenu un atout majeur d’une politique non plus seulement de l’offre mais soucieuse d’être à l’écoute de ses partenaires et engagée dans des initiatives imaginatives de promotion du français dont « L’air du temps », « Français 2001 » portent la trace et qui bénéficièrent d’une visibilité nouvelle dans la presse nationale. L’aboutissement le plus accompli de la pensée promotionnelle et partenariale en réseau de Raymond Le Ruyet sera dix ans plus tard, en 1998, conduite par les hommes de cette génération : l’opération « Allons en France 98 » qui, à l’occasion de la Coupe du Monde de football en France, accueillera 700 jeunes venus de 140 pays.  Des mots nouveaux sont alors entrés  dans le champ de la politique linguistique : c’est ainsi que le  « marketing linguistique » entra dans le langage des interventions publiques du sous-directeur lui-même  : « Il s’agit alors de « vendre » le français, de passer à l’ « offensive publicitaire » en s’inspirant des techniques adaptées de la « mercatique » – pour ne pas dire « marketing » – telles que l’étude de marché, la mise au point d’une campagne promotionnelle, l’évaluation des résultats, etc… ».  Susciter ce qu’Hubert Védrine appela plus tard, « un désir de France », ce discours séduisait ou agaçait mais Raymond le Ruyet ne dévia pas de sa ligne, convaincu de son bien-fondé et l’histoire lui a largement donné raison.

Pour nous, Raymond le Ruyet restera l’honneur du Service public tel qu’on le souhaite, un inventeur éclairé, le manager du coup d’avance et celui qui ne renonce jamais, l’intelligence qui partage et l’homme d’amitié et de complicité qui passent le temps.

Alain Monteil et Jacques Pécheur


Raymond Le Ruyet en sept dates

1968-1976 : Laos-Liban. Responsable des programmes d’appui à l’enseignement du français.
1976-1981 : Nigeria. Conseiller culturel, chef du service de coopération.
1981-1988 : Ministère des affaires étrangères. Sous-directeur de la politique éducative et linguistique.
1988-1993 : Ministère de la Coopération. Adjoint au sous-directeur de la coopération.
1993-1999 : Commission européenne et Institut européen pour les études asiatiques. Chef de programme.
1999-2002 : Ministère des affaires étrangères. Responsable des projets multilatéraux.
2002-2008 : France Coopération internationale – Bruxelles. Délégué.

 

 

 

 

 

3 commentaires
  1. Merci à Alain et à Jacques pour cet hommage à un homme qui a compris avant tout le monde non seulement ce que pouvait être une politique linguistique à l’étranger mais, plus largement, comment devait se déployer une diplomatie d’influence.
    Respect pour un homme qui, tout en restant en marge du maelström bureaucratiques propre aux administrations, a su tracer un sillon que beaucoup d’entre nous ont continué à creuser.

  2. Jean michel Champault

    J’ai appris avec une grande tristesse la disparition de Raymond Leruyet.
    Je l’ai connu au Nigéria comme COCAC où il m’a appris le métier d’attaché linguistique . Il a donné à notre mission une dimension plus étoffée en inscrivant l’enseignement la langue française dans un espace culturel et sociétal.
    Par ailleurs, il a su créer une équipe qu’il réunissait une ou deux fois chaque année pour mener sous sa responsabilité une véritable action au niveau du Nigéria.

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