MEMO : à voir – Entretien avec Lawrence Valin, réalisateur de Little Jaffna

Posté le par Le français dans le monde
Extrait des pages MEMO - à voir (3 questions et critique) par Adrien Roche
A chaque numéro, la revue présente une revue des sorties Musique, Littérature, Documentaires et nouveau Cinéma.

Trois questions à… Lawrence Valin, réalisateur de Little Jaffna
Son premier long-métrage, Little Jaffna, a remporté les prix du jury et du public à Reims Polar. Un film policier haletant qui met en scène la communauté tamoule de la porte de la Chapelle, à Paris. Entretien avec le comédien et réalisateur Lawrence Valin.

Vous réalisez mais jouez également dans Little Jaffna. Vous aviez du mal à trouver des rôles qui vous correspondent au cinéma ?
J’ai grandi en Île-de-France, où j’ai certes eu la chance de ne pas réellement subir de racisme. En revanche, quand je suis arrivé dans le milieu du cinéma, on me prenait toujours pour l’Indien de service et mes rôles étaient toujours les mêmes. Alors j’ai essayé en Inde, mais là-bas je renvoyais l’image d’un Blanc. J’avais du mal à trouver ma place, alors je me suis dit que j’allais essayer de faire autrement et de me créer un rôle qui me permette de m’épanouir en tant que comédien. J’ai pris les choses en main pour me créer une place dans le cinéma. Au départ, je pensais être le seul à vivre ça, mais j’ai vite remarqué qu’énormément de gens qui ont ma couleur de peau étaient invisibles dans le cinéma français. C’est donc de ça que je voulais parler. C’était très important pour moi, sur ce premier film, de parler d’où je venais.

/ Valin à gauche © Guy Ferrandis

Au premier plan à gauche L. Valin © Guy Ferrandis

Le film a eu son petit succès, vous attendiez-vous à de si bons retours ?
Tout ça — les prix, les notes des spectateurs et de la presse, le nombre d’entrées — je n’y pensais pas, en tout cas au début. À la base, je voulais juste déconstruire l’idée du migrant franco-tamoul qu’on perçoit comme « le petit Indien qu’on doit aider ». Le film, je l’ai pensé pour le gamin de 13 ans que j’étais et qui n’avait pas de modèles. Quand j’étais petit, devant les films de Scorsese, je trouvais ça super stylé de voir ces Italo-Américains en costume. Je me suis dit que j’avais envie de faire exactement la même chose, mais avec des Tamouls. Je voulais parler de choses proches de moi, que ce soit la quête d’identité ou le conflit au Sri Lanka. Mais je ne voulais pas en faire un documentaire. Je voulais que le public y aille pour voir un bon divertissement, un bon polar français. J’ai essayé d’être le plus populaire possible dans ma manière d’écrire, pour rassembler des gens autour du film. Je pensais que ça ne passerait pas forcément auprès de la presse, mais le film a eu un très bon accueil. C’est une victoire.

Tout au long du film, vous alternez entre plusieurs styles. Pour quelle raison ?
C’est vrai, j’ai voulu mélanger des styles très différents. La première séquence ressemble à du documentaire avec cette manière de filmer les gamins et des plans de coupes très proches de cette communauté. Et d’un coup, je la coupe de manière très brutale, avec la musique, le ralenti… et ça, c’est clairement tiré du cinéma indien. Et d’un autre côté, il y a la scène (hilarante, ndlr) de bataille dans une poissonnerie, clairement inspirée du cinéma sud-coréen. L’idée, c’était de ne pas me contenter pas d’un seul style. Ce mélange, cette pluralité, je me dis que c’est mon propre style. Mais c’est difficile quand on fait un premier film, parce que les gens font le tri et comparent les séquences à de plus grands réalisateurs : « Ça c’est du Tarantino, ça c’est du Wong Kar-Wai ». Plus tard, sur mes prochains films, j’ai juste envie qu’on dise : « Ça c’est du Lawrence Valin. »


L’œil des Tigres

Difficile, quand on est originaire d’une communauté cible de clichés perpétuels et finalement peu connue de la population française, de ne pas plonger dans un misérabilisme ambiant. Le réflexe le plus attendu — et le plus légitime — serait de filmer frontalement l’Histoire, de dénoncer, d’alerter, de faire œuvre de mémoire. Little Jaffna, c’est tout l’inverse. Un vrai film de genre, pensé comme un pur divertissement — ce n’est pas un gros mot — avec, en toile de fond, des membres des Tigres tamouls, mouvement indépendantiste du Sri Lanka. Ce mouvement armé, classé comme organisation terroriste par l’Union européenne depuis 2006, souhaite créer un État indépendant à l’est et au nord du pays, en réponse à la persécution de leur peuple par les Cinghalais.
Mais ici, c’est Paris qui sert de décor. Plus précisément la porte de La Chapelle, où Aya, parrain local, règne sur la communauté tamoule en orchestrant blanchiment d’argent et trafic d’êtres humains pour soutenir les familles restées au pays. Michael (joué par le réalisateur lui-même), flic d’origine tamoule, intègre la bande d’Aya et tente de s’y faire une place pour coincer le mafieux. Un scénario presque programmatique, et pourtant Lawrence Valin s’en sert pour mieux jouer avec les codes du film de mafieux : on passe d’un ralenti surstylisé à une scène comique de bagarre à base de thon, de moments touchants entre grand-mère et petit-fils à une scène de torture violente. Le film ne cesse de renouveler ses enjeux et évite l’écueil du manichéisme pour tenir le spectateur en haleine. Impossible de ne pas s’attacher aux bandits que Michael doit dénoncer. C’est là que Little Jaffna touche juste : en mêlant efficacité dramatique et richesse culturelle, sans jamais sacrifier l’une à l’autre.

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