Fdlm 419 – Expression : être à la bourre (6’57’’)

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« Être à la bourre » : (RFI – La puce à l’oreille, 10 janvier 2018, Lucie Bouteloup)logos rfi_CMJN

La puce à l’oreille

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Lucie Bouteloup

Bonjour Yvan, / Ohlala ! comme vous le disiez à l’instant le temps presse et j’ai bien crû que j’allais commencer ma chronique à la bourre cette semaine / Avouez qu’à l’heure des résolutions pour la nouvelle année, ça fait pas vraiment sérieux / Être à la bourre donc, voilà de quoi nous allons parler aujourd’hui avec le linguiste Alain Rey qui nous accompagne depuis quelques semaines maintenant dans « La puce » / Mais ne perdons plus un instant, il est grand temps maintenant d’écouter les propositions des enfants de la classe de CE1 de Cécile Mafiolo à Paris / « Être à la bourre », allez, hophophop ! c’est parti !

 

Divers enfants :

– Avoir plein de travaux et on est épuisé

– Être en forme

– Être à la bourre, peut-être que c’est quand on est très très en retard quelque part

– Euh… La bourre, c’est de l’alcool ? C’est être bourré

– Être à la bourre euh ben ça veut dire « Je suis très en retard au travail, donc il faut que je me dépêche »

– Être à la bourre c’est comme on était dans un bar et là on a oublié son travail

alors on est en retard et on a oublié notre travail

– Bourre ça vient de bourrer et ça veut dire avoir plein de choses sur nous qui nous tiennent bien au chaud

– Bourre ça fait penser à court donc il faut se dépêcher très vite

– Bourré ça veut dire qu’on est un peu fou dans notre tête

– Par exemple t’as bu trop de bière donc t’es bourré

– Le lien c’est p’têtre t’es en retard et en même temps et en même temps t’es un peu bourré

 

La puce à l’oreille

 

Lucie Bouteloup : Alors t’es en retard et t’es un petit peu bourré, on a chaud… / Y’a plein d’idées différentes mais en tous cas y’a vraiment de l’idée / Ils sont pas loin parce que qu’est-ce que ça veut dire l’expression « être à la bourre » Alain Rey ?

Alain Rey : Il y en a plusieurs qui le savent bien et qui l’ont bien dit, c’est être très très en retard. Alors évidemment c’est le résultat d’une très longue évolution parce que c’est pas le premier sens du mot / – C’est un mot qui a plein de significations, la bourre / – Le rapport avec « bourré » que tout le monde connaît mais surtout au sens d’être ivre, c’est à dire être saoul / Saoul ça veut dire rempli aussi, c’est à dire comme gonflé par ce que l’on a absorbé / Au début c’est pas l’idée de l’alcool, c’est plutôt l’idée de trop de nourriture / C’est cette idée-là / Mais c’est pas la bourre dont il est question / Et il faut quand même revenir, comme toujours avec ces drôles d’expressions, à un passé assez lointain / Il y a tout de même, si, il y a une petite fille qui a dit que c’était quelque chose qui tenait chaud / Et c’est vrai, c’est ça le vrai sens initial de la bourre / C’est ce qui garni, comme une fourrure épaisse, enfin etc / Et ça va devenir un mot qui est employé très très souvent à la chasse quand on poursuit un animal, on se rapproche de lui / Et si on arrive à l’attraper, on le touche presque / Et à ce moment-là on employait l’expression tirer la bourre à quelqu’un / C’est à dire être si près de lui qu’on était sur le point de le rattraper /

Lucie Bouteloup : Ça désignait aussi la touffe de poils que le chien pouvait arracher

Alain Rey : C’est ça, ça pouvait être tout à fait matériel / La fourrure du lièvre ou d’un animal qui est poursuivi / Donc c’est pas valable pour les oiseaux puisque la plume c’est pas de la bourre / Mais c’était uniquement pour les animaux à poils et non à plumes / Et c’est l’idée de rattraper / Donc, en fait, celui qui court et qui est rattrapé, il est en retard par rapport aux poursuivants, quoi, c’est à dire / Ce retard est d’ailleurs pour l’animal qui est chassé mortel / Donc c’est très grave au départ / Et puis peu à peu…

Lucie Bouteloup : On tire la bourre à quelqu’un

Alain Rey : On tire la bourre à quelqu’un, ce qui ne se dit plus beaucoup / Mais on continue à dire être à la bourre sans du tout réfléchir à l’origine de l’expression pour dire être terriblement en retard / Mais ça garde cette idée / Et ça les enfants l’ont bien senti / De « il faut se dépêcher / C’est à dire qu’il faut essayer de rattraper à tout prix / C’est à dire qu’en fait / L’idée, la métaphore, il faut échapper à celui qui vous poursuit / Qui est-ce qui vous poursuit quand on est à la bourre ? / C’est pas une personne humaine c’est le temps / Voilà, donc, en fait c’est une réflexion tout à fait philosophique sur le fait que le temps nous poursuit / Et que si on veut lui échapper, lorsqu’on est à la bourre il faut débourrer le plus vite possible

Lucie Bouteloup : Et puis on a aussi des coups de bourre, des gros coups de bourre

Alain Rey : Alors on a des coups de bourre / Ça c’est aussi que vient prendre le verbe « bourrer » qui est remplir / Avec toutes les possibilités / La saoulerie / mais aussi le fait d’être contraint par quelque chose qui vous pousse

Lucie Bouteloup : Au travail notamment / On a des coups de bourre / C’est à dire qu’on est très en retard / Il faut vite se dépêcher pour boucler son travail

Alain Rey : Absolument / Il faut échapper à la contrainte majeure qui est celle du temps, en effet

Lucie Bouteloup : Alors Claude Duneton il a une autre explication / qui viendrait du jeu de cartes occitan la bourre / Et il a retrouvé une locution chez eux qui dirait, excusez mon accent « es la borra

Alain Rey : « es la borra », bon, euh…, je ne pense pas qu’il ait tort parce que si ce jeu s’appelle la borra / C’est à dire la bourre / C’est pour une raison de ce genre / C’est à dire qu’il y a au départ une métaphore / Parce que dans un jeu il y a ceux qui gagnent et ceux qui perdent

Lucie Bouteloup : Celui qui perd perd beaucoup

Alain Rey : Ceux qui sont en train de gagner ils tirent la bourre à ceux qui sont perdants / Donc moi je pense qu’on peut très bien avoir plusieurs explications / Parce que c’est la langue elle-même qui produit des sens dérivés et qui peuvent s’appliquer / Là bon comme Claude Duneton a commencé sa vie je l’ai bien connu et c’était un type épatant à parler occitan et pas français / Il connaît la bourre / Tout de suite il va donner quel est le sens en occitan qui est un jeu dans lequel il y a des poursuivants et des poursuivis / Presque tous les jeux / Trivial Pursuit, c’est ça / Le jeu est très très souvent une poursuite / Et dans la poursuite, il y a le lièvre et puis le chasseur / Et c’est le lièvre qui a la bourre et il faut qu’il fasse gaffe à pas se la faire prendre et à pas se la faire tirer justement

Lucie Bouteloup : Et bien nous aussi nous sommes à la bourre, Alain Rey / Je suis désolé / Juste le temps quand même de rappeler aux auditeurs qu’ils peuvent se procurer votre ouvrage Les 200 drôles d’expressions aux éditions Le Robert / Je vous remercie beaucoup d’être venu nous éclairer / – Et on est pas bourrés ! / Et nous ne sommes pas bourrés heureusement / Je donne rendez-vous aux auditeurs la semaine prochaine pour une autre Puce et je vous dis à très bientôt / Au revoir.

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