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Juste injuste

Posté le par admin

Par Louis-Jean Calvet

Un matin en me levant, j’entends sur une chaîne de radio un journaliste dire, à propos du film d’Arnaud Desplechin Jimmy P. que Mathieu Almaric dans le rôle de Georges Devereux est « juste extraordinaire ». Le journaliste aurait dit « juste bon », ou pire « tout juste bon », la phrase en aurait été dépréciative, signifiant que l’acteur était moyen, voire mauvais. L’adverbe juste a en effet deux  sens. Il peut signifier « précisément » (il chante juste, il a frappé juste, il a vu juste, c’est juste ce qu’il me fallait) ou « seulement » (j’ai juste cinq minutes, c’est juste pour rire). Mais le journaliste n’a voulu dire ni que Mathieu Almaric était précisément extraordinaire ni qu’il était  seulement  extraordinaire, il voulait bien sûr être laudatif.

Un peu plus tard, une journaliste de télévision déclare à propos d’un évènement dramatique: « C’est juste pas possible ce qui s’est passé ». Voulait-elle dire que cela était seulement pas possible ou précisément pas possible? Ni l’un ni l’autre, elle voulait augmenter la force de son « pas possible ».

Cette utilisatiaon orale de juste m’a mis la puce à l’oreille et j’ai commencé à prêter l’oreille, si je puis me permettre cette répétition. Et ma récolte a été fructueuse. J’ai recueilli à foison des  « Tu trouves ça juste normal », « c’est juste horrible », « c’est juste génial » et encore des « juste pas possible ». C’est-à-dire que juste, dont la fréquence est en train de monter, semble prendre le sens de « vraiment », avec une valeur exclamative. Mathieu Almaric était donc « vraiment extraordinaire » et ce qui s’était passé n’était « vraiment pas possible ».

Quel est l’avenir de ce juste? Il est bien entendu difficile de le dire. Qui aurait pu affirmer il y a vingt ans que sur (du latin super, indiquant donc ce qui est au dessus, ou supérieur) allait s’imposer comme préposition passe-partout avec en particulier le sens de à (je vais sur Paris, je suis sur Paris, j’habite sur Paris, etc.) ? Et qui pensait il y a dix ans que consacré risquait bien d’être poussé vers la retraite par dédié (on entend en effet de plus en plus des formules comme « un site dédié à la chanson », « une émission dédiée au théâtre », etc.)?

Il est toujours facile d’expliquer un phénomène, ou ici un changement linguistique, après coup, mais il est plus compliqué de prévoir sa pérennité lorsqu’il est en cours. Si nous analysons le possible devenir de ce juste, comme d’ailleurs celui de tout phénomène linguistique s’éloignant de la norme, à la lumière de la sélection naturelle chère à Darwin, d’un point de vue écolinguistique donc, nous pourrions dire que la variation propose, et que les pratiques ou le contexte disposent. Ne lisant pas l’avenir dans le marc de café, je ne puis donc rien dire de plus.

Mais si la tendance que je viens de décrire devait perdurer, la logique voudrait que nous entendions un jour c’est juste pas juste ou  c’est juste injuste, ce qui pour l’instant ressemble encore à un oxymore.

 

 

 

2 commentaires
  1. Bonjour,

    Ancien étudiant de M. Calvet, je me suis intéressé à cet article. Je m’étais également fait cette remarque.
    Selon moi cette utilisation de « juste » dans le sens de « vraiment » vient de l’anglais :
    « It’s just impossible », par exemple.
    Un calque identique à celui qui a donné à « réaliser » le sens de « to realize », se rendre compte !

  2. Cet article de JL Calvet « Juste injuste » est… juste pertinent ! It’s just right / sharp >>> « juste » vrai / pointu et pourquoi pas c’est « juste » juste !!

    D’accord avec JB Livet à propos de cette utilisation probablement calquée de l’anglais :
    « It’s just awful », « it’s just unfair », it’s just great »
    D’ailleurs pour consacré à / dédié à évoqué dans l’article on pourrait dire de même :
    a web site dedicated to music >> un site dédié à la musique
    a programm dedicated to theatre >> une émission dédiée au théâtre

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