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Hizb França et le enjeux d’un anathème

Posté le par admin

Par Dalila Morsly

L’expression1 Hizb frança qui signifie, littéralement, « parti de la France » est une expression témoin du débat linguistique qui oppose, en Algérie, les arabisants (formés en arabe) et les francisants (formés en français). Dans ce contexte, hizb frança fonctionne comme un anathème ou une insulte lancés par les arabisants contre les francisants .

Le terme émerge de façon récurrente dans les discours produits aussi bien en arabe qu’en français à propos du débat sur la langue nationale et la politique linguistique qui doit être mis en place, notamment dans le système éducatif. Si le choix symbolique de l’arabe comme langue nationale n’est pas vraiment contesté par les francisants (il l’est par les berbérophones et berbérisants), le statut, par contre, que doivent assumer l’arabe et le français dans les institutions algériennes est violemment discuté. Hizb frança apparaît ou est réactivé de façon privilégiée dans les temps forts de la politique linguistique qui définissent le rôle que vont jouer les deux langues dans l’acquisition des savoirs scolaires et universitaires:

– 1962–1974 : le français pour les matières scientifiques et techniques; l’arabe pour les matières linguistiques et littéraire ;
– 1974–2000: l’arabe : langue d’acquisition de l’ensemble des savoirs ; le français langue étrangère (ou seconde ?);
– 2000–2003: une réforme du système éducatif initiée par le Président Bouteflika prévoit de redonner au français une place plus importante à l’école; Bouteflika se prononce contre la généralisation de l’arabisation, prend publiquement la parole en français et se rend au sommet de la francophonie (2002) alors que l’Algérie n’appartient pas à l’organisation de la francophonie.

Les francisants qui défendent l’enseignement bilingue, qui se montrent hostiles à la l’arabisation totale et accueillent très favorablement les revirements annoncés par la réforme de Bouteflika sont accusés de hizb frança par les arabisants. Pour ces derniers un seul slogan: l’utilisation exclusive et généralisée de l’arabe. Le français est et ne peut être, selon eux, qu’une langue étrangère, moins efficace, d’ailleurs, que l’anglais. Les accusations de hizb frança reposent sur les arguments suivants :

– les francisants défendent le français parce qu’ils ne maîtrisent pas la langue de leur peuple (l’arabe);
– le français porte nécessairement « les valeurs coloniales »;
– les francisants adhèrent à ces valeurs et trahissent ainsi leur collusion avec l’ancienne puissance coloniale.

Ce dialogue de sourds qui repose sur une conception simplificatrice du rapport entre langue et culture et ignore les dynamiques sociolinguistiques, révèle des enjeux sociaux et politiques majeurs: les arabisants tentent depuis l’indépendance de ravir aux francisants le rôle d’élite que la colonisation leur a refusé; les francisants défendent leur position hégémonique: en dépit du processus d’arabisation, le français reste la langue de la réussite sociale.

Les islamistes dans les années 1990 utilisent, à leur tour, les termes de hizb frança pour désigner soit les francophones (et assassinent des enseignants de français) soit les militaires formés dans l’armée française avant l’indépendance et qui de ce fait constitueraient des réseaux maffieux et secrets au service des intérêts français.

« …la langue ne sert pas à dire la vérité, elle dit, tout simplement. »2, écrit L.J. Calvet et la question n’est pas de savoir si les francisants sont ou non des suppôts du colonialisme, mais de repérer les stratégies linguistiques qui se développent pour exclure et entretenir la conflit. En ce sens, hizb frança fonctionne comme un symptôme de la guerre que se livrent, à travers la langue, les forces politiques en présence.

1. Hizb França n’est pas sans rappeler la dénomination parti colonial utilisée pour les colonistes qui entre 1890 et 1911 ont constitué un groupe de pression en France. Cf. Ageron, C ;-R., 1978, France coloniale ou parti colonial, Paris, PUF.

2. Calvet, Louis-Jean, 2006, Combat pour l’Élysée, Paris, Seuil, p. 11.

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