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Favoriser l’alternance des langues

Posté le par admin

L’enseignement des « disciplines dites non linguistiques » dans le cadre des sections bilingues a ses spécificités. Il appelle à la création d’une didactique qui lui soit propre et qui passe notamment par l’alternance des langues.

On a vite compris qu’on ne pouvait calquer l’enseignement du français langue étrangère ou langue seconde sur celui du français langue maternelle tel qu’il est pratiqué en France. De la même façon, on admettra le bien-fondé de stratégies didactiques spécifiques pour l’enseignement des disciplines non linguistiques dans les « sections bilingues ».

Quels que soient les dispositifs mis en place et les appellations (immersions, CLIL-Émile, sections internationales, sections européennes ou orientales), « l’enseignement bilingue » utilise une langue étrangère pour enseigner tout ou partie d’une ou plusieurs disciplines non linguistiques. La langue étrangère apprise (langue 2) est réinvestie et utilisée à côté de la langue habituelle de scolarisation (langue 1, le plus souvent maternelle) pour apprendre des concepts en biologie, géographie, mathématiques, histoire, etc. L’expression « discipline non linguistique » (DNL), même si elle est commode, semble en réalité inappropriée, car il n’existe pas à l’école de disciplines qui soient non linguistiques ; d’où le parti pris de parler ici de « disciplines dites non linguistiques » (DdNL) à l’instar de Laurent Gajo (2007), en attendant une dénomination plus acceptable.

L’enseignement bilingue n’est pas réductible à la somme de deux enseignements monolingues, qui ferait perdre une grande partie des bénéfices linguistiques et la totalité des bénéfices culturels et cognitifs disciplinaires. L’enseignement est véritablement bilingue s’il est abordé en deux langues pour tous les sujets et a priori à tout moment. D’entrée de jeu, on éliminera donc les pratiques pédagogiques qui traduisent systématiquement en langue 2 les programmes et contenus de la langue 1 : car « faire » en langue 2 les cours d’histoire, de biologie ou de chimie des manuels de la langue 1 est au mieux surréaliste, artificiel et démotivant, au pire redoutable et dangereux. Les discours scolaires nationaux sont en effet toujours très « culturisés », et par là même souvent intraduisibles, même s’il est nécessaire que les élèves les connaissent. D’autre part, les professeurs de DdNL, sauf cas particuliers, peuvent ne pas avoir une maitrise de la langue 2 suffisante pour soutenir continûment un discours en langue étrangère – ce n’est pas leur métier, et cela ne manquerait pas d’avoir des effets négatifs au niveau de l’apprentissage de la discipline.

Concrètement, quand on est professeur d’une discipline, il semble qu’il soit naturel et convenable de mettre en premier objectif l’enseignement de sa discipline, et donc de s’attacher, via l’enseignement bilingue, à chercher en priorité à améliorer l’enseignement/ apprentissage des concepts de sa matière, pour, en second lieu, viser des bénéfices linguistiques et favoriser, in fine, les ouvertures culturelles. C’est lorsque l’on est clair sur les objectifs visés et leur hiérarchie que l’on peut commencer à identifier et définir des didactiques spécifiques, à tracer les contours d’un nouveau métier, ou plus précisément d’une spécialisation au sein du métier classique de professeur d’une discipline.

Construire un cours bilingue

L’idée centrale soutenue ici est que le professeur en section bilingue doit s’efforcer de construire un nouveau cours, original, singulier, bilingue, qui mette en relation les programmes et contenus des manuels de langue 1 avec ceux de langue 2, qui croise les méthodologies et mette en pratique l’alternance régulière des langues : celles-ci servent à la fois de manières originales d’exprimer des concepts et une culture et, par ailleurs, de moyen de les communiquer. Cette stratégie vise à la fois des objectifs d’abord disciplinaires, mais aussi linguistiques et culturels.

Relier programmes et manuels

Relier programmes et contenus des manuels est un exercice essentiel, qui demande du temps, qui ne s’improvise pas, mais qui peut se révéler bien utile pour élargir et approfondir les concepts de sa discipline (et affiner tout à la fois la connaissance de la langue 2 et de la langue première de scolarisation). On sait en effet que c’est là un moyen fécond de cerner l’épistémologie des disciplines, comme ont pu le montrer depuis bien longtemps les travaux de spécialistes d’éducation comparative. Concrètement, le professeur de DdNL comparera les contenus des thématiques communes, les priorités conceptuelles, les choix de documents, d’exemples, d’exercices. Il n’est naturellement pas question pour autant de s’écarter, dans les cours à préparer, du programme officiel de la région ou du pays dans lequel se situe la section bilingue.

Mettre en relation les méthodologies

Comparer les méthodologies utilisées dans les manuels scolaires respectifs de chacune des deux langues n’est pas moins utile et formateur : on peut observer les manières souvent très différentes d’aborder les notions et concepts disciplinaires, privilégiant tantôt des logiques inductives, constructivistes, centrées sur des observations, des analyses de documents, des expérimentations, des enquêtes, tantôt des approches plus pragmatiques, behavioristes, plus centrées sur la mémoire et l’encyclopédisme… Mais là encore, ces analyses ne s’improvisent pas et doivent être conduites lors de formations.

Faire coexister les langues

Mais, au plan linguistique, comment faire ensuite dans la classe pour mettre à profit ces mises en relation des programmes, contenus et méthodologies, et tirer ainsi des bénéfices utiles à la discipline, tout en favorisant grandement les bénéfices linguistiques, tant au niveau de la L2 qu’au niveau de la L1 ? Il s’agit alors de bâtir un nouveau cours. Serait-ce là vraiment que résiderait la spécialité du professeur bilingue de DdNL ?

L’idée centrale, simple dans son principe mais qui doit s’apprendre – car elle est contraire à nos traditions d’enseignement monolingue –, est de traiter rigoureusement le programme officiel de son pays, en favorisant l’alternance des langues en fonction des contenus, des documents, des exemples, des exercices, mais aussi en croisant les manières de dire, de démontrer, de décrire, d’analyser, de formuler. Il s’agit donc de conduire en DdNL des unités didactiques, des cours, des leçons où les deux langues coexistent en permanence, très explicitement, où le professeur et les élèves disposent en permanence de ces deux outils de travail, pour le plus grand bénéfice de la discipline, au-delà bien sûr du profit pour les langues 2 et 1. Il s’agit d’alterner les langues de manière raisonnée et efficace, en mettant en relation les messages, les contenus et les méthodologies portés par ces langues. Utiliser par conséquent l’alternance des langues, mais en la maîtrisant, en la raisonnant, en la didactisant.

L’alternance linguistique

On peut distinguer trois types d’alternance, en interrelation :

– une macro-alternance, d’ordre structurel, qui concerne la programmation générale des cours ;

– une alternance séquentielle, sorte de méso-alternance, la plus délicate sans doute à maitriser, qui se met en place tout au long de l’unité didactique ;

– une micro-alternance, qui se réfère aux courts passages d’une langue à l’autre. La première et la troisième alternance ont souvent été décrites (Cavalli 2007, Causa 2007). La seconde au contraire, qui se rapporte à ce qui se passe concrètement pendant le cours, dans la pratique quotidienne, a été peu commentée, car elle est difficile à maitriser et nécessite de l’entrainement. Chacun fait ce qu’il peut dans sa classe, de manière un peu empirique : c’est souvent très efficace, mais quelquefois moins ; on est là dans le bricolage, le tâtonnement expérimental.

La macro-alternance

Programmée, prévue à l’avance, la macro-alternance consiste à choisir, dans un enseignement bilingue, les sujets, les thèmes qui vont être majoritairement traités en langue 1 ou en langue 2. Majoritairement, en dominante, mais pas en totalité, pas en exclusivité. C’est la différence avec l’immersion, avec les cours entièrement conduits en langue 1 ou langue 2, comme c’est souvent le cas.

Les critères de répartition des programmes peuvent être d’ordre conceptuel, méthodologique, en fonction de la difficulté supposée du sujet à traiter, ou des ressources documentaires disponibles. Mais il y a toujours cette idée que la macro-alternance se prévoit à l’avance, avec tout ce que cela implique au niveau des préparations et collaborations éventuelles avec d’autres collègues, notamment le professeur de langue 2.

La micro-alternance

Durant le cours dispensé et structuré majoritairement dans l’une des deux langues, on aura recours ponctuellement à l’usage de l’autre langue. Par opposition à la macro-alternance, planifiée et structurelle, la micro-alternance est non programmable et conjoncturelle. C’est un phénomène naturel, qui doit être maitrisé et peut prendre plusieurs formes : on distinguera notamment une micro-alternance de reformulation, une micro-alternance de type métalinguistique et enfin une micro-alternance dans les interactions, destinée à entretenir l’indispensable communication.

La méso-alternance

On appellera méso-alternance, ou alternance Séquentielle, cette alternance de langues opérée par le professeur pendant le cours de manière raisonnée, réfléchie, volontaire, sous forme de séquences successives : il s’agit de favoriser chez les élèves la mise en oeuvre des processus d’apprentissage.

Cette méso-alternance, composée d’une suite de séquences monolingues plus ou moins longues, et qui peut prendre par conséquent différentes configurations, a pour objet d’enrichir les contenus, de croiser les documents en différentes langues, de varier les entrées méthodologiques. En stimulant les comportements de concentration, de curiosité, d’attention, de mémorisation, de flexibilité cognitive en général, elle permet en effet de faciliter les constructions conceptuelles disciplinaires (l’encadré p. 27 en donne une grille générale possible). Ce ne sont là que les grandes lignes d’une didactique largement à inventer et à affiner. Il convient cependant de dire que de nombreux enseignants de DdNL travaillent déjà dans cette perspective, que des ministages de formation existent, que c’est là une stratégie réaliste et viable, dans la mesure où elle permet au professeur de DdNL de se situer clairement dans le dispositif bilingue : il n’est pas professeur de langue, il n’a pas à se culpabiliser de ne pas faire son cours entièrement en langue 2, sa place et son rôle sont ainsi mieux définis. Mais le débat est ouvert.

Jean Duverger

Grille pour une alternance

Le titre de l’unité didactique

Il doit être donné en L1 et en L2, pour des raisons d’abord symboliques – c’est un signe fort qui indique que la leçon va se dérouler en deux langues –, mais aussi parce que, souvent, les deux intitulés peuvent être assez éloignés d’une traduction littérale, et c’est déjà un motif de réfl exion.

Le premier moment « d’émergence des représentations »

On fait le point, en grand groupe, mais aussi individuellement, sur ce que l’on sait ou croit savoir à propos de la thématique visée. Cette phase doit impérativement se dérouler en L1, puisque c’est dans cette langue qu’ont été vécues et que se sont construites les représentations, images et idées souvent « préconçues » qui vont devoir, le plus souvent, être remises en cause lors du déroulement de l’unité didactique.

Le travail central d’exposition et de traitement de la thématique

Une alternance entre les deux langues est souhaitable pour les textes, mais aussi pour des graphiques, des cartes, des schémas ou des statistiques, en présentant et travaillant bien sûr chaque document dans sa langue originale, sans le traduire.
Si le travail nécessite des observations, des expérimentations, des mesures, on tâchera aussi de les conduire dans l’une ou l’autre langue, mais sans avoir le souci de « comptabiliser » quoi que ce soit, de respecter des parités illusoires. L’idée est ici de chercher des complémentarités, des précisions, des ouvertures, des entrées différentes susceptibles d’aider aux apprentissages.

On pourra fabriquer un double lexique des termes spécifiques, une sorte de répertoire de mots clés (par exemple, sous forme d’encadré dans le cours).

Les conclusions intermédiaires, résumés et synthèses finales, théorèmes, lois, règles, axiomes, etc.

Ils seront obligatoirement formulés dans les deux langues, à l’oral et à l’écrit, en s’aidant de manière systématique des manuels utilisés en L1 et L2. Les formes langagières sont en effet souvent différentes dans les deux langues et loin des traductions littérales. Il est utile de travailler et retenir les deux formulations afin de favoriser la mémorisation et la conceptualisation.

Les cahiers, classeurs, ou autres outils de travail utilisés par les élèves pour « apprendre », seront donc rédigés et illustrés dans les deux langues.

Les exercices de contrôle et l’évaluation

Les problèmes, les tests, les QCM, les questions/ réponses, les évaluations intermédiaires ou terminales (y compris les certifications des dernières années de scolarité) seront proposés dans les deux langues. De nombreuses configurations sont possibles : on peut par exemple poser une question dans une langue et demander la réponse dans l’autre. En d’autres termes, il s’agit de suivre le programme officiel mais en pratiquant des incises, en intercalant des formulations et des synthèses, en réalisant des exercices issus de l’autre langue, de « l’autre manière de voir », selon les nécessités des processus de construction conceptuelle dans la discipline.

Article paru dans Le français dans le monde n°362, Mars-Avril 2009

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